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chez Les musulmans ; mais ce qui domine surtout dans ce voyage, c’est la poésie du désert. On vit, avec Cheggueun, de la vie de l’Arabe voyageur ; on partage ses périls, ses souffrances et ses joies. Nous ne connaissons qu’une chanson saharienne qui retrace avec la même vérité cette vie nomade si chère aux tribus des hauts plateaux. Ces vers que le Saharien psalmodie dans ses longues marches sont comme un épilogue naturel au récit de Cheggueun, et ils rendront peut-être mieux que nous n’avons su le faire l’impression produite en nous par les naïves causeries du khrebir :

« L’Arabe nomade est campé dans une vaste plaine ;
Autour de lui rien ne trouble le silence,
Le jour, que le beuglement des chameaux,
La nuit, que le cri des chacals et de l’ange de la mort.
Sa maison est une pièce d’étoffe tendue
Avec des os piqués dans le sable.
Est-il malade, son remède est le mouvement ;
Veut-il se régaler et régaler ses hôtes,
Il va chasser l’autruche et la gazelle.
Les herbages que Dieu fait croître dans les champs
Sont les herbages de ses troupeaux.
Sous sa tente, il a près de lui son chien,
Qui l’avertit si le voleur approche ;
Il a sa femme, dont toute la parure
Est un collier de pièces de monnaie,
De grains de corail et de clous de girofle.
Il n’a pas d’autre parfum que celui du goudron
Et de la fiente musquée de la gazelle.
Et cependant ce musulman est heureux,
Il glorifie son sort et bénit le Créateur :
Le soleil est le foyer où je me chauffe,
Le clair de lune est mon flambeau ;
Les herbes de la terre sont mes richesses,
Le lait de mes chamelles est mon aliment,
La laine de mes moutons mon vêtement.
Je me couche où me surprend la nuit ;
Ma maison ne peut pas crouler,
Et je suis à l’abri des caprices du sultan.
Les sultans ont les caprices des enfans
Et les griffes du lion ; défiez-vous-en.
Je suis l’oiseau aux traces passagères ;
Il ne porte avec lui nulle provision ;
II n’ensemence pas, il ne récolte pas :
Dieu pourvoit à sa subsistance. »


PIERRE DE CASTELLANE.