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le bjady, dont la feuille, pareille à celle du chou, donne un goût de citron aux alimens avec lequelques on la fait cuire.

L’on approchait d’Aguedez, la première grande ville du Soudan. La caravane ne fit que traverser cette ville, et il fallut bien des jours de marche encore pour atteindre Kachna, terme du voyage. Kachna est située dans une plaine marécageuse, traversée par une petite rivière et bien cultivée. De nombreuses plantes inconnues à l’Afrique du nord poussent dans cette plaine. Kachna est la capitale du royaume d’Haoussa, conquis depuis trente-cinq ans par les Foullanes, race blanche musulmane, qui impose à ces peuples sa religion et sa domination. À l’arrivée, l’hommage habituel fut rendu par les principaux de la caravane à Mohamed-Omar, qui commande à Kachna comme serki (lieutenant) du sultan Bellou, dont la résidence est Seketou.

« La maison d’Omar est immense ; des gardes veillaient le la porte, où vint les recevoir un intendant nommé Abouky-Euzerma.

« Dans la cour principale étaient enchaînés deux lions à crinière noire, mais faits au bruit sans doute ; largement nourris d’ailleurs, ils dormaient couchés à terre, la tête sur leurs pattes, et ne semblaient point les voir ; il en fut ainsi d’un éléphant libre et familier, auquel un esclave donnait à manger de l’herbe fraîche et des feuilles de maïs ; mais ils effrayèrent des autruches, qui partirent au galop en battant des ailes, et, par une porte latérale, gagnèrent le jardin.

« L’oukil les introduisit enfin dans une vaste salle appelée guidan-serki, c’est notre hakouma (salle de réception). Omar y était assis sur une estrade recouverte avec des tapis du Maroc et garnie de coussins en peaux tannées, bariolées de diverses couleurs.

« Sur les quatre faces, les murailles étaient ornées de peaux de lion et d’antilope, de dépouilles et d’oeufs d’autruche, d’arcs et de flèches, de larges sabres et de lances, d’instrumens de musique et de pièces d’étoffes écarlates ; çà et là des oiseaux divers étaient grossièrement peints en rouge, jaune et noir.

« De chaque côté de l’estrade, et au-dessous d’Omar, les chefs de son gouvernement et ses secrétaires étaient assis par terre sur des nattes ; tous avaient la tête nue et rasée ; le chef seul était coiffé d’une haute chechia rouge ; il était vêtu d’un ample pagne à larges manches, rayé bleu et blanc, recouvert par deux burnous, l’un bleu de ciel et l’autre rouge ; ses jambes étaient nues, et je pus remarquer qu’il n’avait point de culotte.

« Aux portes de l’hakouma de nombreux chaous et des esclaves noirs maintenaient les curieux, et la musique jouait dans la cour.

« Deux fois par jour les musiciens viennent ainsi lui faire honneur, et cet honneur est pour lui seul dans la ville. En abordant Omar, son intendant se courba respectueusement jusqu’à terre, fit le simulacre de ramasser un peu de poussière et de s’en couvrir la figure, et, se relevant, il lui baisa les mains. »

Pour les gens de la caravane, ils entrèrent avec dignité que des musulmans et des marabouts doivent garder, mais sans ôter leur