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un licou dont la longe vient en travers de ses pieds, et on le laisse entravé jusqu’à ce qu’il ait compris ce qu’on veut de lui, et qu’il reste un jour tout entier sans faire un mouvement à la place où l’aura mis son maître. Puis le heug est soumis à d’autres épreuves : on rive à sa narine droite un anneau de fer qu’il gardera jusqu’à sa mort ; cet anneau lui tient lieu de mors ; on y ajoute la rahhala, sorte de selle dont l’assiette est concave, le dossier large et haut, le pommeau élevé, mais échancré de la base à son sommet. Le cavalier est assis dans la rahhala comme dans une tasse, le dos appuyé, les jambes croisées sur le cou du mahari et assurées par leur pression même dans les échancrures du pommeau. Le moindre mouvement sur la narine imprime à l’animal une douleur si vive, qu’il obéit passivement ; il oblique à gauche, il oblique à droite ; il recule, il avance, et s’il est tenté par un buisson et qu’il se baisse pour y toucher, une saccade, un peu rude l’oblige sur-le-champ à prendre une haute encolure ; enfin, lorsque le heug sait, s’arrêter, quelque vitesse qu’il ait prise, quand son cavalier tombe ou saute de la rahhala ; si le heug sait tracer un cercle étroit autour de la lance que le cavalier plante en terre et reprendre le galop dès qu’elle est enlevée, son éducation est complète, il peut servir aux courses ; ce n’est plus un heug, c’est un mahari. Telle est l’éducation de ces coursiers du désert, dont la rapidité merveilleuse, la sobriété, l’énergie et le courage rendent faciles ces entreprises que l’on traiterait de fables, si l’on ne savait que le mahari permet de les accomplir. C’est, comme nous le disions, la grande fortune des Touareug, dont la caravane traversait le territoire.

La marche était longue et pénible ; mais enfin l’on arriva au point culminant de la montagne. La caravane avait à ses pieds une pente abrupte et couverte de broussailles. Les yeux se perdaient vers le sud dans la plaine jaunâtre, aussi loin qu’ils pouvaient aller. « Alors, dit le narrateur arabe, pour la première fois je compris l’immensité de cette parole : Bénissez le Seigneur autant que les sables sont étendus. » Le lendemain, Ould-Biska faisait ses adieux à la caravane.

Après bien des marches encore dans des plaines sans fin, où l’œil exercé du pilote savait retrouver la route à ces signes qui échappent à tout autre, la troupe voyageuse atteignit ces montagnes qu’elle avait long-temps aperçues comme des points bleuâtres à l’horizon, ces montagnes habitées par les peuplades nègres, sentinelles avancées du Soudan. Là croît en abondance le hachich, dont l’ivresse se vend à Tunis et à Tripoli ; là se trouvent ces arbres semblables à nos peupliers, d’où découle la gomme blanche, — l’oum-el-nam (la mère du monde), espèce de figuier à essence résineuse que l’on brûle comme un parfum, et cet arbuste au large fruit, pilé dans un mortier, forme une pâte tenant lieu de beurre dans la cuisine des Arabes ; enfin