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celle d’Ould-Biska lui-même, fera juger des mœurs sauvages de cette tribu. Kreddache, qui était avant Ould-Biska le chef des Touareug fut tué dans un combat par Ben-Mansour, de la tribu des Cgambas. À cette nouvelle, il y eut deuil dans le Djebel-Hoggar, et chaque noble prononça ce serment : « Que ma tente soit détruite, si Kreddache n’est pas vengé ! » Kreddache laissait une femme grande et belle, au cœur vaillant. Bien souvent, Fetoum avait suivi, le cheik en razzia, animant du geste et de la voix les combattans, souffrant comme un homme la faim, la fatigue et la soif. Selon la loi, elle devait commander jusqu’à ce que son fils eût l’âge du pouvoir ; mais celui qu’elle épouserait commanderait avec elle, et tous briguaient sa main. Comme un jour de conseil elle avait dit : « Mes frères, celui de vous qui m’apportera la tête de Ben-Mansour m’aura pour femme, » le soir même toute la jeunesse de la montagne, armée en guerre, la saluait en disant : « Demain, nous partons pour aller chercher ton présent de noces. — Et je pars avec vous, » répondit-elle.

Ould-Biska commandait la troupe. Pendant de longs jours et de longues nuits, ils marchèrent vers le nord, où s’étaient retirés les Chambas. Arrivés à dix lieues seulement de l’endroit du campement, ils se cachèrent, du soleil couchant au soleil levant, dans les ravins.

« La nuit suivante, ils reprirent la plaine au trot allongé de leurs maharis : à minuit, ils entendirent devant eux les aboiemens des chiens ; un moment après enfin, à la clarté des étoiles, quinze ou vingt tentes leur apparurent au pied d’un mamelon.

« Voici le douar de Ben-Mansour, dit au chef de la bande le chouaf (éclaireur) qui l’avait guidé. — Ould-Biska jette alirs le cri du signal, et tous les Touareug, en criant comme lui, s’élancent sur les tentes.

« Le sabre but du sang pendant une heure. De tous les Chambas, cinq ou six seulement, les plus heureux et les plus agiles, s’échappèrent ; encore Ould-Biska, d’un coup de lance, arrêta-t-il un des fuyards.

« Au jour levé, Fetoum fit fouiller les tentes bouleversées ; sous chacune, il y avait des cadavres : hommes, femmes, enfans, vieillards, elle en compte soixante-six. Par la grace de Dieu, un pauvre enfant de huit ou dix ans n’avait pas été massacré ; un Targui l’avait trouvé, sous une tente abattue, blotti entre deux outres en peau de chèvre ; il n’était point blessé, mais il était couvert de sang.

« — Connais-tu Ben-Mansour ? lui demanda Biska.

« — C’était mon père.

« — Où est-il ?

« — S’il est mort, il est là derrière ce buisson ; il m’emportait en fuyant, un de vous l’a frappé, nous sommes tombés ensemble.

« Tout ce sang est de lui, ajoutait-il en pleurant, et sa main soulevait son burnous ensanglanté.

« Fetoum, c’est moi qui l’ai tué, s’écria Biska. Mes frères, ajouta-t-il ensuite en s’adressant aux Touareug qui se pressaient autour de Fetoum ; cette nuit