Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/522

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peine en chasse, des poules de Carthage partent devant nous, et les faucons décapuchonnés s’élèvent d’abord en ligne droite ; puis lorsque leurs yeux, accoutumés à la lumière, ont aperçu leur proie, ils fondent sur elle et l’ont bientôt mise à mort. Plus loin, au bruit de nos chevaux, deux lièvres quittèrent leur gîte, et les faucons furent de nouveau lancés. Tant que le lièvre court, il échappe à son ennemi ; mais lorsqu’il hésite pour chercher une retraite, c’est alors que l’oiseau s’accroche à son dos et commence à lui manger la cervelle et les yeux. Il en est des faucons comme des hommes : les uns sont bons, les autres mauvais. Il fallait entendre les Arabes se moquer de ceux-ci, les gourmander et les accabler de reproches ; il fallait voir l’orgueil du maître possesseur du meilleur chasseur. C’est pendant l’été que se préparent les chasses de l’hiver. L’oiseau, à son premier vol, tombe sous le piège du fauconnier ; encore sauvage, on l’habitue à courir à sa proie ; on lui prépare une chasse facile, on lui apprend bientôt à attendre l’ordre du maître, à reconnaître la voix, le signal, l’appât, à se précipiter sur la peau de lièvre jetée en l’air avec différens cris auxquels l’oiseau vorace obéit avec une ardeur sans égale[1]. Ainsi le faucon de l’Arabe redevient l’oiseau du moyen-âge, entouré de soins, de gloire et même d’honneurs.

Dans notre course, comme toujours, nous admirions la hardiesse des cavaliers et la beauté de leurs montures ; une jument surtout nous frappa. Mohamed, l’ami de notre ami Rhaled, avait une jument isabelle si légère, qu’elle aurait pu galoper, suivant l’expression arabe, sur le sein d’une femme. Comme nous lui faisions compliment de sa beauté, Rhaled nous dit : « Elle avait une sœur, qui seule pouvait lutter avec sa sœur ; elles étaient l’envie de tous et l’orgueil de leur maître, lorsque Mohamed fut emmené prisonnier par les cavaliers de l’émir : il parvint à s’échapper ; mais à peine avait-il atteint son douar, que les chaous du sultan furent signalés. Aussitôt Mohamed s’élança sur sa bonne jument, et, lorsque les cavaliers arrivèrent à la tente, ils virent aux entraves défaites que le maître s’était enfui. Le rejoindre était impossible ; l’un d’eux pourtant sauta à bas de son cheval, courut à l’autre jument, encore attachée à la corde ; mais l’enfant de Mohamed l’étendit raide morte d’un coup de pistolet. Cette jument pouvait seule atteindre l’autre jument ; l’enfant sauvait son père. »

Comme Rhaled achevait cette histoire, un des serviteurs des Rhomsi nous rejoignit. Il nous apportait une lettre du commandant de notre petite colonne, nous donnant l’ordre de revenir au plus tôt, car nos escadrons, allaient partir pour Saïda. Nous reprîmes en toute hâte la

  1. Les Arabes, pour rappeler le faucon qui tente de s’éloigner, jettent en l’air une peau de lièvre, en poussant un cri aigu pour attirer l’attention de l’oiseau-chasseur. Le faucon, qui croit le lièvre vivant se précipite avec une rapidité telle que souvent il touche la terre avant que l’appât soit retombé.