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inconnus. On apercevait, dans les bois qui bornaient l’horizon au sud-ouest, des colonnes de fumée, indices de la présence des hommes dans ces lieux si beaux. Le poète Young a dit quelque part qu’on aime à se figurer une situation entre la terre et le ciel où l’on pourrait, sans distraction, recevoir les pensées qui viennent du Très-haut. Telle est, jusqu’à un certain point, la situation de l’homme à qui il est donné de traverser pour la première fois de vastes régions où la civilisation n’a point encore pénétré. Il se sent petit et faible sous la main de Dieu, lorsqu’il est comme abîmé dans les profondeurs d’immenses solitudes, et son esprit est mieux disposé à concevoir de hautes pensées. Dans ces déserts que M. Mitchell traversait, les animaux, presque aussi familiers que ceux du paradis terrestre, venaient au-devant de lui, et regardaient passer avec curiosité l’être humain porté sur le dos d’un quadrupède docile et intelligent. Un jour, sir Thomas pousse son cheval à l’ombre d’un arbre sur la cime duquel chantait un oiseau inconnu ; il se met à siffler de son côté, et l’oiseau écoute, répète exactement les notes du voyageur ; puis, attiré sans doute par ce chant qui charme son oreille, il descend en sautillant de branche en branche, et vient enfin se percher sur le cou du cheval, penchant gracieusement sa tête en avant pour mieux savourer la musique.

M. Mitchell aurait voulu pousser jusqu’au bout sa découverte et reconnaître personnellement l’embouchure de la rivière ; mais il y avait des milles par centaines à parcourir avant d’arriver au golfe de Carpentarie, et le provisions s’épuisaient. La marche de l’explorateur était trop rapide et trop directe pour que la chasse fournit des ressources sérieuses. Quelques canards furent tués, ainsi qu’un émus, gros oiseau du pairs qui avait eu la naïveté d’accourir au-devant des voyageurs : On fit quelques repas avec des pigeons, charmante variété de l’espèce dont la place eût été dans les cabinets d’histoire naturelle. Leur plumage est admirablement riche de couleurs : d’un noir de jais sur la tête, blanc comme l’ivoire au cou, fauve sur les ailes et pourpre sous le ventre. Enfin Yuranigh découvrit, dans le creux d’un arbre, un essaim d’abeilles pas plus grosses que des moustiques, et il réussit à leur enlever un excellent miel. Pouvait-on baser un voyage sur de tels hasards ? Cependant sir Thomas avançait toujours ; il ne pouvait se déterminer à quitter les bords de cette rivière qui lui paraissait la grande route de l’est au nord Le 25 septembre, les voyageurs se trouvèrent devant un vaste lac et près des huttes d’une tribu de naturels qui semblaient avoir quitté tout récemment leurs demeures, à en juger par des foyers brûlant encore. Autour de ce village, des chemins battus, les hangars permanens, prouvèrent à M Mitchell qu’il venait d’entrer sur le territoire d’une peuplade considérable. Il aurait évité volontiers cette rencontre, mais il ne lui était pas permis de dévier de sa rotule en vue de la rivière, car ses provisions tiraient à leur fin, et la moindre erreur dans le calcul du temps nécessaire pour le retour l’eût exposé à périr. En approchant plus près de l’étang, il entendit des cris d’enfans et de femmes, des voix furieuses d’hommes qui répétaient : Aya minyà ! — « que voulez-vous ? » Il est toujours dangereux de se trouver, dans le désert, en présence d’une tribu de naturels ; mais le péril est grand surtout quand elle n’a pas été avertie de votre approche, et que vous la prenez par surprise. En ce cas, on parvient rarement à éviter un combat. M. Mitchell, fidèle à la conduite qui lui avait presque toujours réussi,