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jusqu’au lendemain matin. Les tentes dressées, les malles servant de tables et les cailloux épars formant les siéges des convives, chacun prit son repas. Une partie des hommes se retira ensuite sous les chariots entourés de couvertures pour y prendre du repos, le reste fut chargé de veiller à la garde du camp, tandis que le propriétaire et ses amis dormaient sous les tentes. À cent pas, les bêtes à cornes, rassemblées comme dans un parc, s’étendirent bien bientôt à terre. On alluma alentour un cercle de feux, et la surveillance à exercer sur cette partie du troupeau fut confiée à deux hommes. Les dix troupeaux de moutons furent rangés autour des feux qui protégeaient les bestiaux, et gardés eux-mêmes par une seconde ceinture de foyers incandescens. Quant aux bœufs et aux chevaux de travail, on leur rendit la liberté en donnant à un homme la mission d’empêcher qu’ils ne s’écartassent du camp et qu’ils ne reprissent le chemin de leurs anciens pâturages.

Les gardes de nuit ainsi posés eurent l’ordre de répéter de demi-heure en demi-heure le « qui vive ? » de leur chef. Malgré tant de précautions, cette première nuit fut des plus désastreuses. À peine la garde du premier quart avait-elle été formée, que la pluie commença à tomber par torrens. Les tentes, les lits, les hardes, les provisions furent trempés ; les feux s’éteignirent. La violence d’un vent glacial qui souffla sans interruption jusqu’au matin fit passer aux voyageurs quelques heures de véritables souffrance. Quand le jour parut, le camp était dans la confusion la plus complète. Pendant la tempête, les troupeaux s’étaient mêlés ensemble ; les plus vieux et les plus faibles animaux avaient été foulés et écrasés par les autres ; un assez grand nombre avaient péri. Il fallait du temps pour rétablir l’ordre, pour faire sécher les vêtemens, les matelas et les couvertures. On partit enfin. Dans le cours de la troisième nuit, les voyageurs eurent une seconde édition de l’orage de la première ; une pluie diluvienne commença au coucher du soleil et ne cessa que le lendemain à midi. « Nous étions mouillé, jusqu’aux os, dit une des victimes de ces orages successifs venus d’une manière bien inopportune dans un pays où la pluie est habituellement si rare ; en outre, nous étions couverts de boue. Notre barbe longue, nos cheveux mêlés, notre linge sordide, car il était impossible de s’arrêter pour en changer, nous donnaient l’air de vrais sauvages. » On parvint, après de longues journées et des nuits plus longues encore, à un village situé dans la direction des établissemens du sud. Là, les domestiques, qui étaient tous des convicts, se débandèrent et se répandirent dans le village à la recherche du whiskey. Ils s’enivrèrent jusqu’à perdre entièrement la raison ; pendant leur absence, les troupeaux se mêlèrent de nouveau. Quelques animaux furent encore perdus. Le colon porta plainte ; mais cette démarche ne diminuait ni ses embarras ni ses pertes. Il réussit enfin à se procurer d’autres hommes, et, après une série de vicissitudes que nous passons sous silence, la caravane tout entière arriva sur les bords de la Morrumbidgy, l’une des principales rivières de cette partie de l’Australie. Les bêtes à cornes la traversèrent à la nage. On fit également passer les chevaux en les traînant, le long d’un bateau, au moyen d’une corde jetée autour de leur cou ; mais, quand vint le tour des moutons, ils montrèrent une répugnance décidée à confier leurs membres au courant, et la journée tout entière s’écoula en efforts inutiles pour les faire entrer dans l’eau. Le lendemain, les mêmes efforts furent renouvelés en vain. Le jour