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I. — DÉPENSES.

En matière de finances, la pensée qui semble la plus naturelle et qui se présente d’abord est celle qui conseille de constater ce qu’un état a de revenu, et de prendre ce revenu pour règle des dépenses. La logique le veut ainsi, j’en conviens ; elle demande que le budget des recettes précède celui des dépenses, et que l’on fasse à la fortune publique l’application des principes qui doivent présider à l’administration des fortunes privées.

Mais ces principes, en réalité, ne sont observes aujourd’hui que par le petit nombre. Nous vivons dans un siècle de prodigalité, où la dépense devient en quelque sorte la cause du revenu ; loin que le revenu soit la source et la raison de la dépense. Qui mesure le train de maison à ce qu’il possède, ou l’étendue de ses entreprises à celle de son crédit ? Les individus, les communes, les départemens, tout le monde emprunte à l’envi, sans compter plus avec l’avenir qu’avec le présent. Chacun de nous a toujours mes meilleurs motifs pour manger son blé en herbe. La propriété foncière se trouve grevée d’hypothèques pour un tiers ou pour moitié de sa valeur, suivant l’estimation la plus modérée Les communes et les départemens ont abusé de l’impôt et de l’emprunt et reviennent encore à la charge, tantôt pour se couvrir d’édifices dont la magnificence est onéreuse autant qu’inutile tantôt pour multiplier des routes que l’on entretient mal ensuite faute d’argent. Quelle agrégation, quel établissement, quel particulier n’est pas obéré en France ? La région de l’équilibre se rétrécit de jour en jour. La région de l’épargne est encore plus étroite : elle se borne à la classe des domestiques et des petits trafiquans, qui capitalisent leurs privations, pendant que les ouvriers dissipent leur salaire et que les capitalistes dévorent souvent le capital avec le produit.

Les gouvernemens de notre temps sont comme les individus : ils sont prodigues ; mais, indépendamment de cette tendance générale, on peut expliquer par des raisons politiques la prédominance qu’obtient le point de vue de la dépense dans le budget de l’état. Les dépenses du gouvernement sont ou doivent être la cause déterminante de l’impôt ; il faut y chercher l’origine du revenu public, qui n’est autre chose que la portion prélevée par le trésor sur les revenus des contribuables. L’état, représentant la communauté nationale, ne fait que ce que les particuliers, les associations privées et les agrégations locales ne peuvent pas faire. Il s’occupe des intérêts et pourvoit aux nécessités qu’aucun autre que lui ne peut embrasser ; mais il se garde bien d’entreprendre et d’empiéter sur l’activité industrielle, et sa richesse ne se forme que de la richesse de tous.