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du Rhin qu’au milieu de Paris ; mais enfin je suis heureux d’avoir assisté à ces combats. Je ne pense pas que la guerre soit le mal, et que le hasard et la violence, c’est-à-dire les puissances que Dieu supporte hors de sa force et de sa justice, en soient seules chargées. Je crois que Dieu se l’est réservée au contraire, et, n’en déplaise aux prêtres philosophes qui se réunissent à des ministres réformés dans des congrès, je le crois avec la Bible, avec le rituel, qui disent : Le Dieu des armées !

Les journées de juin furent une véritable guerre. Comme toutes les guerre, elle nous a délivrés en un seul coup de maux que le temps n’eût guéris qu’après de nuisibles lenteurs : Le temps est un triste médecin pour les générations malades. Ses tâtonnemens, ses délais, ses expériences, font une part plus sûre à la mort que le remède héroïque des batailles. En juin, nous avons pour la première fois depuis plus de soixante ans, coupé brusquement, dans un furieux accès, la fièvre révolutionnaire. Pour parler sans figure, nous avons prouvé à l’émeute qu’elle n’était pas sacrée, à la barricade qu’elle n’était pas invincible. La plus triomphante démonstration de cette vérité est que certainement à la troupe dont j’écris l’histoire.

Ce fut le vendredi, à midi, que commença cette immense fusillade où furent brûlés trois millions de cartouches. Jusqu’au samedi, dans la journée, les plus grands efforts de la défense furent faits par la garde mobile. Le système du général Cavaignac, si diversement apprécié, retirait l’armée de la rue, où nous restions avec les insurgés. Dans quelques quartiers, la garde nationale nous envoyait du renfort ; dans beaucoup, elle nous saluait et nous regardait mourir ; dans certains, elle nous était hostile. On m’a assuré que le brave commandant du 16e bataillon, Cipollina, fut tué par un homme qui portait l’uniforme de la garde nationale. Cipollina fut parmi nous un de ceux qui tombèrent les premiers. C’était un des hommes dans lesquels s’incarnait avec le plus d’originalité et d’éclat l’esprit de la garde mobile. Il avait une belle figure, une taille élancée et je ne quoi d’en même temps populaire et chevaleresque qui exerçait sur les masses un entraînement indicible. Vrai chef de bande, il se faisait obéir des soldats par l’autorité du regard et de la parole bien plus que par l’application de la règle militaire. Il possédait au plus haut degré ce que notre armée d’Afrique appelle la fantasia cette mise en scène, qui a quelque chose de touchant dans le danger, quand elle relève de nobles actions et d’intrépides caractères. Lorsqu’il marchait à la tête de son bataillon, il y avait derrière son cheval, devant la fanfare, deux gardes mobiles, les plus petits de toute la troupe, habillés en sortes de pages ; l’un d’eux portait une énorme carabine que le commandant saisissait aussitôt que battait la charge. Cipollina ne savait qu’inventer pour exposer cette vie qu’il a perdu comme il le souhaitait. Un jour, on l’avait envoyé avec son bataillon