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manié l’aune, d’autres griffonné des actes, dont certains avaient figuré, m’a-t-on dit, sur des théâtres de la banlieue, dont un petit nombre avait servi, mais ne se serait point soucié de montrer ses états de services, une troupe de ces gens comme les révolutions en rassemblent s’étaient installés dans la maison de ville et y menaient la plus étrange vie. La fantaisie éclatait dans leurs costumes : ceux qui avaient des goûts militaires s’étaient donné des épaulettes de capitaine, de commandant, voire de colonel ; ceux qui avaient des penchans poétiques avaient adopté toutes sortes d’accoutremens romanesques. Je me rappelle un personnage, dont j’ai oublié le nom, qui sortait à cheval avec un chapeau à larges bords, des bottes molles, un habit de velours et une longue épée. La plupart de ces amateurs du pittoresque avaient à leur ceinture des pistolets et des poignards ; maint canotier parisien s’était transformé en Lara. J’ai toujours eu l’affectation en haine : elle m’inspire un secret dégoût, même dans la plus brillante des sphères, quand elle se prête aux caprices du génie. Je n’ai point de mots pour peindre la misère de cette affectation du ruisseau. Ceux qui ont vu ces parodies savent jusqu’à quel niveau peut descendre le triste comique de cette vie.

Parmi les affectations des seigneurs suzerains de l’Hôtel-de-Ville était une superbe comme il ne s’en est certes jamais rencontré chez l’aristocratie d’aucun peuple et d’aucun temps. Dans les cafés où ils daignaient souvent apparaître avec leurs longues barbes et leurs écharpes flottantes, ils tutoyaient et frappaient même les garçons. Il y avait entre eux une sévère hiérarchie. La maison de ville, qui, du reste, était une maison de bombance, renfermait plusieurs tables auxquelles on s’asseyait suivant le rang que l’on occupait dans cette noblesse des barricades. Une de ces tables rappelait celle où le roi invitait autrefois les officiers de service aux Tuileries ; seulement on y buvait davantage et on y restait plus long-temps. Après les repas, on faisait des largesses au peuple. Des varlets, portant de grandes corbeilles où des restes de pain et de viande étaient entassés, distribuaient ces débris à la multitude affamée qui se pressait derrière les grilles du palais. La voix de la garde mobile fut la première qui troubla dans leurs fêtes les triomphateurs de l’Hôtel-de-Ville. D’abord l’insolence de ces personnages l’irrita, et leurs airs féroces la firent rire. Les Parisiens sont familiers avec les masques de théâtre. Ces tyrans de mélodrame perdaient leur temps à enfler leurs voix. L’arsenal suspendu à leur ceinture n’inspirait pas plus d’effroi aux nôtres que leurs barbes hérissées et leurs moustaches pendantes. Les mobiles, avec leurs baïonnettes se moquaient des poignards et des yatagans. Un grand escogriffe, équipé en malandrin, voulut traiter de Franc à Gaulois un homme de mon bataillon. Le mobile donna un soufflet au montagnard.