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L’ordre du jour qu’on nous lut pour nous préparer aux élections était particulièrement empreint d’un caractère religieux. On nous enjoignait, je me rappelle encore ces expressions, de nous recueillir et de prier Dieu. Depuis, j’ai souvent entendu tourner en ridicule le ton d’homélie qui régnait dans ce singulier morceau d’éloquence guerrière, et j’avoue, en effet, que le discours ne semblait pas approprié à l’auditoire auquel il s’adressait ; mais j’ai une indulgence infinie pour la poésie des cœurs de soldats. Cette poésie, habituellement gauche, malhabile, ou en-deçà ou au-delà de ce qu’il faut par l’expression, est tirée de sources profondes et vives ; elle est émouvante comme le péril, généreuse comme le courage, sacrée comme la mort. D’ailleurs, l’ordre du jour du général Duvivier ne parut pas ridicule à ceux-là même précisément pour lesquels il était fait. Les volontaires l’écoutèrent en silence et le visage sérieux. Si leurs élections n’ont pas donné à la France des Hoche et des Marceau, ce n’est ni la faute du général Duvivier ni la leur, c’est la faute du temps où s’est accomplie et des élémens qu’a remués la révolution de février.

On comprendra quelle réserve je fois m’imposer en parlant du choix des volontaires. Ce choix fut tout ce qu’il put être. Dans toutes les casernes où quelques jeunes gens appartenant à d’honnêtes familles avaient eu l’idée de s’enrôler, ces jeunes gens obtinrent des grades. Des manières distinguées, une décente origine, loin d’être des motifs d’exclusion, étaient au contraire des titres au commandement. Ma vie au milieu du peuple m’a convaincu qu’un patriciat régénéré pourrait sortir de toutes nos révolutions, si ceux qui valent quelque chose par leurs traditions domestiques savaient aborder avec autorité et courage la grande famille sociale. Je suppose qu’au mois de février le caprice eût pris dans Paris à toute la jeunesse dorée de s’engager dans la garde mobile : cette troupe levée par les Ledru-Rollin et les Caussidière eût présenté le modèle accompli d’une armée aristocratique. Officiers et soldats auraient formé deux classes tranchées comme aux jours d’avant 89. Du reste, tous ceux que les volontaires appelèrent à leur tête eurent du moins cet incontestable mérite, qu’au jour du danger ils furent à leur poste, sachant tuer et se faire tuer.

Je ne sais ce que furent les élections dans toutes les casernes, mais je puis affirmer que dans celle où j’étais elles eurent un caractère profond d’ordre et de dignité. Des opérations préparatoires avaient eu lieu avant l’opération définitive et avaient fixé les suffrages sur un nombre de candidats déterminé. Par un louable et singulier mouvement d’orgueil, les volontaires avaient décidé qu’une autorité étrangère ne serait pas initiée à leurs cabales ; ils voulurent donner à tous leurs chefs le touchant et imposant triomphe de l’unanimité. Aussi, le jour de nos élections ne cessera jamais de s’offrir à mon esprit