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je reparlerai plus tard, appartenait à une famille des plus distinguées. Il s’était engagé, croyant le temps de la première république revenu, pensant qu’à cette époque comme en 93 l’armée devait être le refuge de tous les gens de cœur. Des motifs à peu près semblables conduisirent à une caserne du faubourg Saint-Antoine un écrivain qui avait toujours eu le goût d’être soldat, et qui se trouvait assez jeune pour le devenir.

Je me rappellerai toute ma vie l’aspect que présentait la caserne de Reuilly lorsque j’y arrivai pour la première fois. C’était, je crois, le premier jour de mars. La caserne de Reuilly est située à une des extrémités du faubourg Saint-Antoine. Je traversai, pour y parvenir, ce quartier de l’insurrection et de la misère, où la république, quelques mois plus tard, devait faire pleuvoir les boulets, mais qui alors était pavoisé et triomphant d’un triste et terrible triomphe. Je n’avais pas franchi encore le seuil de la caserne que j’entendais déjà un bruit de voix confuses, murmurant sur les tons les plus discordans tous les chants patriotiques du jour. La garde mobile dans les casernes, c’étaient alors les souffles révolutionnaires renfermés dans des grottes. La caverne d’Eole ne devait pas être plus bruyante que la caserne de Reuilly. Là se croisaient, se querellaient, fumaient et chantaient tous les héros les plus déguenillés, les plus insoucians et les plus hardis de février, ces enfans de quinze ans qui, le premiers, avaient commenté, en cassant les réverbères, le manifeste des députés de la gauche. À ces figures rieuses se mêlaient çà et là quelques figures sinistres. En ces jours de désordre, on admettait dans la garde mobile tous ceux qui se présentaient et qui semblaient inquiétans pour la tranquillité de la rue. Quelques-uns de ces hommes, qui composèrent la majorité de certains corps irréguliers, des Lyonnais et des Montagnards, promenaient là leurs mines rébarbatives. Toute cette foule était encore armée à la manière dont les révolutions arment le peuple, c’est-à-dire avec des fusils et des fleurets, des sabres et des broches. Aucun chef n’avait d’autorité sur cette multitude, excepté un homme gros et court, mais à la figure martiale, vêtu en commandant de la garde nationale. C’est à lui que je me présentai.

Assis derrière une table cet officier improvisé se livrait à une opération organisatrice d’une nature particulièrement expéditive. Il faisait comparaître tour à tour devant lui une réunion d’hommes qu’il appelait du nom de peloton, et demandait à cette troupe de lui désigner séance tenante celui de ses membres qu’elle voulait reconnaître pour chef. L’élection avait lieu par acclamation en quelques minutes. Une bande venait d’entrer, et n’avait pas encore choisi son chef, lorsque je m’approchai du commandant. Aux questions qu’il me fit, je répondis que je voulais m’engager, et que je désirais un commandement.