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familles de province, achetées par des nuits sans sommeil, prises sur le vivre des pareils. Qu’en font-ils, ces fils, objets de tant de sacrifices ? Ils apprennent à mépriser l’honnête famille qui les leur envoie et les vertus modestes qui les ont sou par sou laborieusement entassées !

Le comble de cette attraction de Paris est mis enfin, le dernier coup aux études de province est porté par cette règle de l’administration française dont nous avons déjà eu occasion de parler dans cette Revue[1], et qui consiste à distribuer tous les emplois jusqu’aux plus minimes par l’intermédiaire de directeurs-généraux, à Paris, sans consulter les convenances locales et en ayant soin d’éloigner régulièrement tous les employés de leur pays natal. Or, comme tout le monde sait qu’on fait mieux dans les bureaux ses affaires soi-même que par procureur, c’est une raison de plus pour envoyer les jeunes gens étudier à Paris, afin qu’ils soient tout portés, quand le moment sera venu de solliciter un emploi. De cette règle générale, à laquelle l’administration tient beaucoup pour des raisons de service qui ont leur valeur, notre éducation publique ne peut pas, il est vrai, être donnée pour responsable ; mais quelle raison avait-elle pour l’imiter scrupuleusement, et chaque jour davantage, dans son propre sein, dans tout ce qui regarde l’avancement de son personnel ? D’où vient que l’Université procède, dans ses choix de professeurs, exactement comme la direction de l’enregistrement ou des contributions indirectes, envoyant indifféremment les gens du nord dans le midi ou vice versa, traitant ses postes de province comme des garnisons par lesquelles il faut passer le plus vite possible pour revenir terminer ses jours à Paris ? Sur ce point, la création d’une grande école normale unique pour toute la France et casernée dans Paris, l’établissement du concours d’agrégation dont les assises se tiennent aussi à Paris, ces deux fondations, développées par le dernier gouvernement, qui ont puissamment contribué à la renaissance des études, ont altéré cependant, nous le pensons, d’une manière le plan de l’Université primitive. Pour entrer à l’École normale, pour être reçu agrégé, par conséquent pour être professeur, de toute nécessité il faut venir finir ses études à Paris. Or, qui a vu Paris, encore, un coup, c’est une règle infaillible, ne le quitte plus qu’à regret. — Prenez ce poste, dit-on au jeune agrégé, reçu après un concours brillant, en l’envoyant à Caen ou à Bordeaux, exilez-vous (c’est le mot) quelque temps en province. Soyez tranquille, on pensera à vous, on ne vous y oubliera pas. — Il obéit en murmurant : il se rend dans la ville inconnue qui lui est destinée, les yeux tendus vers ce Paris d’où l’avancement doit lui venir. Seul avec lui-même, inconnu à tous, privé à la fois des douceurs de la famille et du mouvement de Paris, il éprouve un profond et

  1. Voyez la livraison du 15 mars dernier.