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suivez cette pensée déliée par les subtilités de la chicane ; ne reconnaîtrait-on pas à cela seul qu’ils ont passé sans interruption d’une classe de rhétorique dans une étude de procureur ? Qu’un homme ainsi préparé entre dans une assemblée politique, sa place est toute marquée. Une opposition tracassière, qui prête à quelque déclamatoire, qui se paie de mots et a soin d’ignorer les faits, qui discute à perte de vue sur un texte de la constitution comme sur un article de procédure civile, ou sur un traité diplomatique sur un mur mitoyen, voilà l’uniforme fait à sa taille et dont il va se revêtir naturellement. Qui oserait dire que ce n’est pas là, depuis trente ans, tout le portrait de plus d’un de nos grands meneurs d’opposition ? Quelque aisé qu’il soit cependant, ce métier, avec la petite popularité qui l’accompagne, ne suffit pourtant pas encore à tout le monde. Il est des imaginations plus ardentes, il est des ambitions rebelles qui prétendent plus haut, des ames qui ont en quelque sorte besoin de respirer plus au large. Pour celles-ci, ce n’est pas impunément qu’elles ont vécu, pendant l’enfance, dans l’atmosphère élevée, mais parfois brûlante, de la philosophie et des lettres. Elles ne peuvent plus se passer des émotions que ces souvenirs éveillent. Ce qu’il y a d’étroit dans ce que nous décorons du nom d’enseignement supérieur les rebute. N’y trouvant rien de large, rien de profond, rien de ce qu’elles ont entrevu et espéré, elles se mettent à l’aventure en quête par elles-mêmes. Peu à peu leur goût, d’abord pur, s’altère ; leur raisonnement, autrefois droit, se fourvoie ; elles prennent de toutes mains le complément d’éducation que les établissemens publics ne leur ont pas donné. De tels esprits sont la proie toute préparée des premiers faiseurs de systèmes qui se trouvent, sur leur chemin. C’est dans l’exaltation des romans modernes, c’est dans les productions bizarres d’un théâtre dépravé qu’ils vont chercher la suite de leurs inspirations littéraires interrompues. Les journaux démocratiques et socialistes, de leur côté, recueillent tous les amateurs de sciences politiques ou économiques qui ne savent où placer dans l’enceinte étroite de notre éducation un mouvement et des aspirations d’intelligence incommodes. L’enseignement supérieur de toute la jeunesse de France s’est fait, pendant dix-huit ans, dans les colonnes ou les feuilletons des journaux.

Ici encore nos reproches ne sont point nouveaux, et nous n’en réclamons pas l’invention. Il y a déjà seize ans que M. Cousin dans son remarquable rapport sur l’instruction publique en Allemagne, comparant les universités de ce grand pays avec nos académies et nos facultés de province ; signalait à la fois avec force le mal et sa cause : « Le plus inoui, disait-il, est de voir dans ce même pays (en France) les diverses facultés dont se compose une université allemande séparées