Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/411

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la littérature est profondément oiseuse pour nos enfans comme pour nous, et c’est au début et dans les collèges qu’il faut laisser périr l’éducation littéraire. Mais il n’en est point ainsi : le droit, les sciences, l’économie politique, la politique elle-même, ne doivent leur véritable développement qu’à l’esprit d’une saine philosophie, et la saine philosophie ne s’établit que sous, deux conditions indispensables : à l’ombre de la religion et à la lumière des lettres. Déjà, par l’effet de la liberté de conscience, l’influence religieuse est faible dans nos écoles, et voici que l’influence littéraire, unique et excessive dans les degrés inférieurs, cesse tout d’un coup de s’exercer au moment où le terrain venait d’être mieux préparé pour la recevoir. Absolue dans l’instruction secondaire, elle est nulle dans l’instruction supérieure, ou plutôt, à proprement parler, nous n’avons point d’instruction supérieure, car cet enseignement ne peut être honoré du nom de supérieur, auquel aucune vue philosophique ne préside. Aussi voit-on, dans les deux seules écoles qui restent fréquentées, le niveau de la doctrine s’abaisse pour ainsi dire tous les jours. Dans l’une, on est de moins en moins disposé à distinguer l’ame du corps ; dans l’autre, on met sérieusement en question l’existence du droit naturel, c’est-à-dire de la justice qui dicte les lois et de la conscience qui les observe. Quand les efforts de quelques esprits d’élite qui luttent encore auront définitivement échoué, nos étudians de médecine et de droit arriveront à ne plus distinguer la pensée de la digestion, ni les lois arbitraires de la police, de ces éternelles prescriptions morales qui sanctionnent les liens du sang et l’hérédité les familles. L’esprit se retire et le matérialisme envahit.

Ainsi, un enseignement supérieur qui se meut dans un cercle démesurément étroit, et qui, perdant subitement toute élévation, tourne sans préparation à une pratique sèche et minutieuse, tel est le couronnement des études des sujets les plus distingués qui paraissent dans nos collèges. Voilà dans quel commerce se passent, pour l’élite et l’espoir de la nation, les années de la grande expansion de toutes les facultés et de toutes les passions. Faut-il s’étonner, s’il en résulte un des états d’esprit public les plus fâcheux dont une nation puisse être atteinte Cette éducation d’abord purement littéraire, mais privée en suit de ce qui fait la grandeur des lettres, les points de vue élevés de critique et de philosophie, imprime à un grand nombre d’hommes, même laborieux et distingués, un des plus tristes caractères qui soit au monde, celui de littérateurs manqués. Ce caractère se reconnaît à deux traits principaux : une vanité impatiente de briller dans les petites choses, et un préférence habituelle accordée aux mots sur les idées. Qui ne connaît de tels personnages ? Le barreau surtout en peut produire indéfiniment sans s’épuiser. Ecoutez, même chez des avocats de renom, cette parole émaillée des fleurs d’une fausse éloquence,