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qui ronge, du haut en bas, la totalité de l’éducation publique, et c’est à ce titre que nous voulons y insister un moment. L’éducation primaire, autant et plus que toute autre, dans ses leçons comme dans ses maîtres, porte le cachet du défaut que nous reprochions tout à l’heure à l’éducation publique en général ; elle a négligé d’établir aucune proportion entre le régime auquel les premières années de l’enfance sont soumises et le but auquel doit s’employer l’activité de l’âge mûr. Cela est vrai des enfans dans chaque école de commune, cela est plus vrai encore des instituteurs dans chaque école normale de département.

Et d’abord n’est-ce pas là, comme le fait remarquer M. Beugnot dans son rapport, le caractère essentiel de cette institution, des écoles normales primaires ? L’éloquent auteur de la loi de 1833, dont le nom est assez illustre pour supporter une critique comme son esprit est assez large pour l’admettre, dans le rapport qui la précédait, s’étendait en termes pleins de magnificence sur la réunion de qualités extraordinaires que, rendait indispensables le rôle humble et pourtant sublime d’instituteur de la jeunesse populaire. Mais, aurait-on pu lui demander, y a-t-il apparence, l’espèce humaine étant ce qu’elle est, peu abondante en dévouemens et passablement atteinte d’intérêt personnel, que vous fassiez sortir de terre un assez grand nombre de ces mérites satisfaits de rester inconnus, pour en compter, d’ici à dix ans, un par commune de France ? Le moyen de les produire est-il de leur donner une éducation précisément faite pour éveiller en eux tous les goûts qu’ils ne pourront pas contenter dans leur vie ? Ils sont destinés à vivre seuls, épars dans les campagnes. Est-ce une bonne préparation que de les élever en commun dans une ville ? Leur existence obscure va se passer entre des parens qui mènent la charrue et des enfans qui quittent l’école pour aller glaner dans les champs. Dix années passées à toucher la fleur de toutes les connaissances humaines leur rendront-elles plus agréables les conversations d’un jour de foire ? Dans le métier ingrat d’ouvrir de petites intelligences qu’on n’a pas même le temps de polir jusqu’au bout, à faire épeler des lettres, tracer des barres, exécuter et vérifier les quatre règles, il n’y a pas le moindre aliment pour un esprit actif, pas le moindre emploi pour des facultés exercées, pas le moindre stimulant de concurrence et de vanité. Quel noviciat pour une telle vie, sèche, aride, décolorée, qu’une grande école publique, recrutée de tous les points d’un département, avec tout le cortège de solennité académiques, de glorioles littéraires que de telles institutions comportent ! Et quel silence glacial ne se fait pas tout d’un coup autour d’un brillant élève d’école primaire couronné la veille sous les yeux du conseil-général, envoyé le lendemain dans une pauvre commune rurale, en dehors de toute communication, où tous les bruits du monde viennent se perdre dans le calme des vastes plaines ou dans