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entre l’Angleterre et la Russie, cette guerre colossale serait le consummatum est de l’indépendance européenne Nous appartiendrions au vainqueur, quel qu’il fût. Nous tenons donc beaucoup à la force de l’Allemagne, comme l’Allemagne doit tenir à la force de la France ; car c’est à l’Allemagne et à la France de maintenir entre la Russie et l’Angleterre l’équilibre de l’Europe.

Pénétrés de cette idée, cherchons quel poids l’Allemagne peut encore avoir dans les questions européennes. Il y a un an, l’Allemagne semblait acquise à la cause libérale ; il y a un an, le boulevard que nous fait l’Allemagne contre la Russie semblait s’affermir par l’union et l’affranchissement de toutes les populations allemandes. Nous n’en sommes plus là. Ce qui voulait être l’Allemagne a disparu ; l’unité allemande est rentrée dans le secret des ames et de l’avenir. Il n’y a plus en Allemagne que la Prusse et l’Autriche, l’Autriche affaiblie par son alliance avec la Russie, la Prusse cherchant sa destinée dans les incertitudes du libéralisme allemand, mais chaque jour perdant une illusion de ce côté et reprenant un souvenir de l’autre côté. Comme ce n’est pas seulement l’Allemagne éventuelle et chimérique que nous aimons, mais l’Allemagne réelle, nous souhaitons à la Prusse une destinée, à l’Autriche une réhabilitation. En attendant, nous n’avons en face de la Russie que deux puissances vacillantes et ébranlées, au lieu de deux puissances vivaces et fortes. Voilà l’attitude de l’Allemagne en Europe.

Tout ceci nous conduit à la question turque, et nous y conduit à travers les inquiétudes qu’excite cette question.

La question turque n’est rien, ou est tout. Si la Russie et l’Autriche ont demandé l’extradition de Bem et de Kossuth pour avoir le plaisir, l’une d’envoyer Bem en Sibérie, et l’autre de faire pendre ou fusiller Kossuth, c’est une mauvaise pensée de la part des deux puissances, c’est une petitesse et une cruauté, ce sera en même temps pour la Turquie l’occasion d’une conduite honorable et généreuse. Dût la guerre sortir de la querelle, si le but de la guerre, comme le but de la demande d’extradition, n’est qu’une œuvre de rancune et de vengeance, nous pouvons dire sous le rapport de la politique et non sous le rapport de la morale, nous pouvons dire hardiment ce que nous disions en commençant : La question turque n’est rien.

Mais, comme il est évident que deux grands souverains ne peuvent pas avoir été mus par une petite pensée de vengeance, il faut nécessairement qu’en demandant l’extradition de Bem et de Kossuth, ils aient eu l’espoir qu’on la leur refuserait. Ils ont cherché un grief et non un succès misérable : dans ce cas alors, la question turque est tout.

La Russie n’a rien demandé à l’Autriche pour récompense de la Hongrie reconquise ; mais elle peut prendre sur la Turquie le prix des services qu’elle a rendus l’Autriche, et c’est à quoi peut lui servir la querelle qu’elle vient de faire à la Turquie. Victorieuse en Hongrie et jouissant désormais d’un grand ascendant sur le haut Danube, la Russie peut, à l’aide d’une bonne ou mauvaise querelle avec la Turquie, s’emparer définitivement du Danube inférieur, c’est-à-dire des principautés moldo-valaques. Alors son pouvoir ira jusqu’à Orsova, et son influence jusqu’à Presbourg. Du Danube alors, que restera-t-il à l’Autriche ? Elle aura perdu la grande prise qu’elle avait sur l’Orient. Elle n’étendra plus la main jusqu’à la mer Noire, elle l’étendra à peine jusqu’au