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pauvre paysan mènera-t-il paître sa vache ? Où ira-t-il couper de la litière ? — nous oublions toujours qu’avec le système des mille et une banques, il n’y aura plus de pauvres ; on prêtera au paysan de quoi acheter un pré pour sa vache ; oui ! et le miracle, c’est que la banque prêtera à 3 pour 100, et paiera elle même intérêt à 5 de tous les fonds qu’elle prendra : différence, 2 pour 100. Ordinairement, les banques font leurs affaires en prêtant, je suppose, à 5, et en empruntant à 3. Ici les mille et une banques feront le contraire et ne feront pas banqueroute. C’est le cas de s’écrier, comme Molière : O la grande vertu de l’orviétan !

L’assemblée législative voulait écarter ces chimères par la question préalable ; mais M. Charles Dupin, rapporteur, a insisté pour qu’il y eût une discussion, et il a eu bien raison. Les gens d’esprit, et il y en a beaucoup dans l’assemblée législative, ont un grand défaut : ils ne tiennent pas assez compte de la bêtise humaine. Ils croient volontiers que ce qui est absurde paraît tel à tout le monde ; c’est une grande erreur. L’ignorance et l’erreur, qui, au temps de Molière,

En habits de marquis, en robes de comtesse,
Venaient pour diffamer le chef-d’œuvre nouveau
Et secouaient la tête à l’endroit le plus beau,

ne portent plus aujourd’hui les vêtemens que leur donnait Boileau ; mais, pour avoir changé de costume, elles n’ont pas changé de nature. Elles honnissent encore volontiers la raison et le bon sens, elles applaudissent à la chimère et à l’absurdité. Ce qui leur plaît surtout, c’est la promesse de l’impossible, et c’est là la grande amorce que les docteurs du socialisme tendent à ce qu’ils appellent le peuple. Comment donc détruire les grossiers sortilèges qu’ils emploient ? Les mépriser et les négliger ? Non. Il faut les discuter ; il faut avec patience et avec fermeté traîner au grand jour tous ces sophismes pernicieux ; il faut montrer combien ils sont vides et creux. Il y avait autrefois de méchans enchanteurs qui, prenant des feuilles de chêne, les faisaient passer aux yeux de leurs dupes pour des pièces d’or ; mais au bout de quelques heures l’enchantement se dissipait, et les pièces d’or redevenaient des feuilles de chêne. Il faut exposer aussi au contact de la vérité et du bon sens les promesses fallacieuses des orateurs populaires. M. Charles Dupin a appliqué cette méthode à l’institution des mille et une banques de M. Pelletier. Il a prouvé avec un grand et rare talent tout ce qu’il y avait de déceptions et surtout de spoliations dans ce système. Il est plus difficile qu’on ne pense de démontrer que l’absurde est absurde et que la raison est raisonnable. Il faut pour cela une force et une clarté d’esprit singulières ; il faut aussi beaucoup de vivacité, car les raisonnemens semblent souvent manquer pour démontrer la raison, et il faut les remplacer par des appels énergiques à la conscience publique. M. Charles Dupin eu, dans sa réfutation du système de M. Pelletier, toutes les qualités qu’il fallait à la bonne cause qu’il défendait. Il n’a pas parlé seulement pour l’assemblée et je l’en loue ; il a parlé pour tout le monde. Il a bien fait, car croyez-vous que M. Pelletier et les orateurs montagnards parlent pour l’assemblée ? Non ; ils parlent par la lucarne ; ils font de la tribune un tambour qui retentit dans la foule. Les orateurs du parti ont leur public, auquel ils s’adressent à travers