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Quel fruit tirons-nous des labeurs
Qui courbent nos maigres échinés ?
Où vont les flots de nos sueurs ?
Nous ne sommes que des machines.
Nos babels montent jusqu’au ciel,
La terre nous doit ses merveilles :
Dès qu’elles ont fini le miel,
Le maître chasse les abeilles.

Et ne dites pas que les chansons que nous venons de citer n’ont pas l’allure populaire, qu’elles sont prétentieuses et déclamatoires, que vous ne retrouvez pas là les flon flon de carrefour. La haine et l’envie font tout passer. Qu’importe que les mots ne se comprennent pas tous ? Dans les temps de guerre sociale, dans les pays en proie au sophisme, avec des natures aisément accessibles à l’envie l’oracle n’a pas besoin d’être clair ; il suffit qu’il réponde à la passion qui le consulte.

Maintenant, pour résister à tant de pernicieux efforts, que font les classes qui sont attaquées ? que fait la bourgeoisie ? que fait la noblesse ? Nous nous servons à dessein de ces mots hors d’usage, parce qu’ils correspondent à deux grands partis dans la société. Nous ne parlons pas ici de ceux qui font chanter dans leurs salons toutes ces belles chansons populaires, et qui jouent avec le cordon qui les étranglera. Ceux-là seront fort étonnés quand, au cinquième acte de la tragédie qu’ils se font représenter si gaiement, on viendra leur signifier qu’on a besoin d’eux pour le dénoûment, c’est-à-dire pour l’immolation de la victime. Ceux qui n’ont pas ces fantaisies d’artiste, que font-ils ? Ils se disputent, ils se discréditent mutuellement. Le bourgeois n’a rien perdu de ses rancunes contre l’ancien noble ; l’ancien noble ne peut pas pardonner au bourgeois son avènement de juillet.

« Savez-vous ce qui fait la force du socialisme dans la Haute-Loire ? dit fort bien le journal du département. — Vous-mêmes, vous, rien que vous, propriétaires, petits et grands !

« C’est un spectacle rare dans l’histoire que des classes englobées dans la même proscription et se faisant la guerre quand même.

« La conduite des démagogues est bien simple, et nous n’éprouvons aucune répugnance à accorder un grossier savoir-faire à ceux qui l’ont introduite au Puy. « Se servir de la haine que les propriétaires ressentent les uns contre les autres ; user les uns par les autres, en les frottant au fil de leurs amours-propres ; en un mot, diviser pour régner, » voilà tout le secret.

« On dit aux légitimistes :

« Voyez M. Flamand. Comment s’est-il enrichi ? Homme d’affaires, il a exploité la manie processive de nos campagnards. C’est en les volant, en leur prêtant de l’argent à 12 pour 100, en les fesant passer par les fourches caudines du tarif, qu’il est devenu assez riche pour briguer les plus hautes fonctions. Membre du conseil général, il n’a pas abdiqué ses pratiques déshonnêtes, et il moissonne de nouvelles richesses mal acquises. »

« Le légitimiste, flatté dans ses rancunes, écoute avec complaisance, et répète volontiers : « Il y a du bon dans ce discours-là. »