Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/372

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1848, et il détruira, soyez-en sûr, la république et la présidence, si au lieu de le renfermer dans sa nature et dans sa force, c’est-à-dire de le fixer et de le consolider comme un principe, on continue à en faire une institution, un procédé d’organisation politique. Changer un principe en procédé, erreur des gouvernemens théoriques, qui veulent toujours mettre en avant leur raison d’existence, et qui passent leur vie à toujours naître ; changer un procédé en principe, erreur des gouvernemens de fait, qui ne croient pas aux causes et ne croient qu’aux occasions.

Quand nous parlons ainsi, nous parlons du suffrage universel comme d’un principe abstrait, nous ne considérons pas milieu dans lequel ce principe se développe. Ce principe, en effet, pourrait ne pas avoir le genre d’activité que nous lui attribuons ; il pourrait être propre à faire vivre les gouvernemens, comme il est propre à les faire naître, qu’il pourrait toutefois être mauvais, à cause de l’état de la société. Nous ne sommes pas de l’école qui croit à la légitimité du suffrage universel : nous sommes de l’école qui ne reconnaît de droite que là où il y a la capacité de l’exercer ; mais, à côté et au-dessus de cette question de légitimité, il y a la question d’à-propos et de convenance. Dans un pays calme, où il y aurait des habitudes d’ordre et de régularité, où la vie patriarcale serait en honneur, où les traditions seraient puissantes et respectées, dans un pays pareil, le suffrage universel serait de mise sans inconvénient, et nous ne chercherions pas si le suffrage universel est légitime là où nous le trouverions utile et honnête. Est-ce là l’état de notre pays ? Chaque représentant revient de sa province ; il a vu, il a entendu. Que pense-t-il de l’état des esprits ? Le respect de la religion, du pouvoir, de la famille, de la propriété, est-il, oui ou non, en progrès ? Le socialisme est-il en décadence et en discrédit ? Il a peut-être quitté les faubourgs de nos villes manufacturières, ou du moins il n’y a plus le même ascendant ; mais il se répand dans les campagnes. Voyez les placards, les affiches, les prophéties qui infestent les provinces. À Vouziers, le partage des terres est affiché. Quarante et quelques ares de terre labourable, quatre ares de vignes, huit ares de pré, voilà la part de chaque citoyen ; nous ne savons pas si c’est la part des citoyens de la commune de Vouziers, ont s’il en doit être ainsi pour toute la France. Ailleurs, le socialisme se fait chansonnier, et c’est à l’aide des chansons que la colère et l’envie se répandent dans les classes laborieuses. Le pain en ce moment est bon marché, et c’est une grande grace du ciel. Cela n’empêche pas de faire et de chanter la chanson de la Faim :

La faim arrive au village,
Dans la ville, par les faubourgs ;
Allez donc barrer le passage
Avec le bruit de vos tambours !
Malgré la poudre et la mitraille,
Elle traverse à vol d’oiseau,
Et, sur la plus haute muraille
Elle plante son noir drapeau.

La question du travail n’est pas moins envenimée que la question du prix du pain. Ecoutez le couplet du Chant des Ouvriers :