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a su soutenir à ce point où la vérité et l’art se rencontrent : elle n’a pas transformé la réalité, on dirait même, tant son tableau est naturel, qu’elle ne l’a pas idéalisée ; mais elle a choisi, trié chaque trait d’une main sûre et délicate. Rien de plus poétique que les scènes si franchement et si simplement passionnées pendant la fête du village, ou, à la nuit tombante, dans les prés, ou des retraites enchantées, entre ces deux enfans qui ignorent leur propre secret. Avec une exaltation naïve et rêveuse inconnue avant le sentiment chrétien, avec une retenue de sens qui ne se rencontre pas toujours dans les peintures de Mme Sand, la petite Fadette et ses innocentes amours rappellent, par la grace des descriptions et par la fraîcheur du coloris, la naïve, la savante pastorale de Daphnis et Chloé. Il y a dans ce récit d’un paysan du Berry un tour vieilli et charmant qui remet en mémoire, sans nul effort, le naïf français d’Amyot venant s’ajouter à l’art habile de Longus.

En achevant ce charmant récit, on est amené presque inévitablement à reconnaître que cette veine, trop rarement exploitée par l’auteur de Mauprat, n’est pas seulement la plus pure de son talent, qu’elle serait aussi, pour lui, la seule sûre désormais. Mme Sand devrait y songer. Ses romans prétendus philosophiques, sur lesquels sans doute elle faisait le plus de fond, sont déjà oubliés ; ils n’ont pas cinq ans, et ils sont déjà plus vieux que l’Histoire des deux Indes. Pour nous, quand nous lisons des écrits comme la Mare au Diable, nous ne pouvons nous défendre d’une triste réflexion sur les faux jugemens que le talent porte de lui-même. Si un rayon de vérité pouvait encore pénétrer dans la nuit que Mme Sand a faite volontairement autour d’elle ; si on n’était sûr à l’avance qu’il y aura toujours des voix empressées, qui ont toutes chances d’être écoutées, pour traiter avec gravité et respect ses plus tristes écarts et pour pousser sans cesse à les renouveler un esprit qu’elles cherchent avec trop de succès à accaparer, la tentation ne serait-elle pas bien vive de lui dire : Laissez là, ne reprenez du moins que par exception le roman à grandes passions, à grandes aventures ; laissez là surtout le paradoxe d’emprunt, le sophisme de seconde main, non pour leur erreur, non pour leur péril, mais pour le tort qu’ils font chez vous à l’art, cette vocation, la seule vraie, de votre génie. L’imagination et le cœur, dit-on, ne vieillissent pas. Pourtant, êtes-vous bien sûre de trouver toujours sur votre palette les couleurs brûlantes d’autrefois ? La clarté fausse à laquelle vous marchez conservera-t-elle toujours le pouvoir d’animer votre poésie, le don d’échauffer votre verve ? Croyez-nous donc, ô artiste, que la vérité inspire mille fois mieux que le mensonge : ne plaidez plus, contez ! Contez, et on ne se lassera pas de vous entendre. Contez, et la nature et l’observation, qui ne puisent pas comme des idées d’un jour, qui ne s’effacent pas comme des systèmes de fantaisie, vous inspireront des œuvres durables comme la source à laquelle les vrais poètes les empruntent. C’est pure duperie à vous que de confier l’art au triste esquif qui porte la fortune des modernes théories. Allez, on lira encore André quand, depuis long-temps, l’Humanité de M. Leroux ne sera plus feuilletée que par quelques rares érudits qui se résoudront à écrire gravement l’histoire de nos folies. Nous ne vous demandons qu’une chose, et qui, pour vous, n’a rien d’injurieux : restez ce que Dieu vous a fait. – Mais cela est-il encore possible ?

Dans ce champ de la vérité morale, de l’observation des passions et des caractères,