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faut en convenir, M. Dumas, dans le roman non plus que dans le drame, n’a la main heureuse pour le choix ou l’exécution de ses personnages. Ce défaut, déjà plus d’une fois reproché à l’auteur des Mousquetaires, n’a jamais été si sensible que dans ses dernières publications. Le régent, Dubois, Louis XV, voilà les héros qu’il affectionne, héros de chroniques et de scandales, sur lesquels, il est vrai, l’imagination peut broder, et qui, par le manque de sérieux, conviennent merveilleusement au talent du narrateur. Certes, nous n’avons aucun goût à défendre le roi du Parc-aux-Cerfs. Que l’auteur des Mille et un Fantômes le monstre égoïste et vil, c’est assurément son droit, bien que l’opportunité de ces peintures cent fois faites ne nous apparaisse pas fort clairement ; mais est-il conforme aux lois du goût et à celles de la vérité de prêter à ce roi bien élevé un langage de la plus triste vulgarité, en même temps qu’empreint d’un certain genre d’esprit faussement naïf et prétentieusement trivial qui date exclusivement de M. Dumas et de son école ? Le rapide, le sémillant conteur survit peut-être encore dans ses derniers romans ; mais, outre le contraste plus que jamais pénible de tant de légèreté et d’insouciance, d’une telle absence de conviction en face du mouvement environnant, il n’échappe à personne que cette verve si agile perd, sinon de sa souplesse, du moins de sa vigueur, que les qualités deviennent moins brillantes à mesure que les défauts deviennent plus accusés, que les caractères sont inférieurs en relief sans gagner en finesse, que le style se dépouille de jour en jour de ce qu’il avait de force et de véritable éclat pour accorder davantage au délayage, à la banalité, au clinquant. Comment en serait-il autrement ? comment la forme n’accuserait-elle pas par sa décadence l’insuffisance et l’inanité du fond ? Nous en sommes convaincu : ce n’est qu’en se retrempant soit dans la vérité morale, soit dans la réalité contemporaine, que le roman peut avoir quelque chance de se régénérer. Le roman a été tour à tour le calomniateur et le courtisan de ce temps ; il lui resterait à en être le peintre.

À défaut de grandes compositions, qui annoncent ce retour de l’art à ses destinées véritables on est heureux de rencontrer du moins çà et là des œuvres gracieuses, qui ne soient inspirées ni par le sophisme ni par l’industrialisme littéraire. C’est une de ces consolations malheureusement trop rares que nous donne l’auteur de Valentine dans la Petite Fadette.

Sans prétendre appliquer à l’art les classifications de la botanique, sans essayer de compter rigoureusement les âges du génie, comme le géologue fait pour la terre, il est aisé de distinguer nettement dans le talent de George Sand trois momens ou au moins trois faces bien tranchées. D’abord c’est l’écrivain d’imagination qui domine, c’est le poète dans le sens le plus élevé et le plus séduisant du mot. Certes, je ne nie pas qu’il y ait une pensée, une pensée de protestation déjà, dans Indiana et dans Jacques ; mais l’imagination évidemment y garde le pas sur le parti pris et passe bien avant le souci sérieux de la thèse. Alors Mme Sand avec un juste sentiment de ses forces, se donnait elle-même pour un pur romancier. Quand on l’accusait de toucher, pour les envenimer, aux grandes thèses sociales elle n’était, disait-elle avec bonhomie, qu’un pauvre artiste : de quoi venait-on de lui parler ? Quand on lui reprochait d’en vouloir au mariage, elle répondait qu’elle n’en voulait qu’aux maris. Sans doute, les gens sévères se demandaient déjà, et non sans colère, on s’en souvient, si