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originales, à la fois populaires et hautes, portant le cachet d’une vigoureuse maturité. L’auteur du Chevalier d’Harmental et de la Guerre des Femmes reste un metteur en scène fort habile ; mais il subit la fatalité de la position qu’il s’est faite. Ne pouvant se renouveler, il se répète. C’est un signe de vieillesse de se plaire qu’avec ses souvenirs. M. Dumas est-il donc si pressé de nous faire assister à la vieillesse d’un homme d’esprit ?

Contrairement au théâtre, pendant les dernières années, le roman avait pris les devants sur la révolution qu’il a en partie préparée. Tandis que le théâtre ne se plaisait plus guère que dans les boudoirs, le roman se faisait habitant des tavernes. Peintre à sa manière de la vieille société qu’il prétendait flétrir et d’un socialisme de fantaisie, il s’est montré un des plus actifs instrumens de novateurs ; on dirait qu’il s’était donné pour mission de prouver, même par le mal, que la puissance des lettres dans ce pays n’était pas encore périmée. Loin de raviver le roman socialiste, la révolution de février l’a fort assoupi. On pourrait presque dire qu’il a péri dans son triomphe. Il ne faut pas s’en étonner. Le roman humanitaire, si indépendant d’allure, si frondeur, à un maître, et quel maître, grand Dieu ! un despote tantôt lui permettant tout, tantôt rempli de défiance à son égard, selon que le vent souffle au dehors. Le roman socialiste attaque en public la tyrannie du capital, mais en particulier on le soupçonne fort de courtiser ce maître impérieux, étrange tyran, en vérité, qui ne fait sentir sa tyrannie que par son absence. Il se met donc en frais de complaisance pour retenir ce cher despote, qui parle de le quitter s’il ne se modifie pas. S’il n’améliore pas sa marchandise, du moins il la change ou la dissimule. C’est ce qu’on le voit faire depuis que ces dix-huit mois ont servi de leçon aux lecteurs, naguère si accommodans. Ou il a fait volte-face, ou il s’est adouci. Il y a eu moins de romans socialistes, et ceux qui s’obstinent à l’être le sont d’une façon plus bénigne sans comparaison. Ainsi M. Sue, qui se présente d’abord, sans se démentir, s’est fort effacé. Ceux qui chercheraient les Mystères de Paris dans les Péchés capitaux seraient loin de compte. M. Sue a gardé sa prédilection pour la peinture du mal ; il a établi son quartier-général au cœur même de tous les vices ; il se complaît au milieu des trésors que prodiguent à sa verve enluminée l’orgueil, l’avarice, la luxure, etc. Quand M. Sue était entièrement laissé à ses propres instincts sans arriver jamais à la proportion, à la mesure de l’art, ses qualités énergiques se faisaient jour du moins librement dans leur incontestable puissance. En s’abandonnant à une prédication moins directe et moins violente des idées qui lui sont chères, M. Sue a-t-il gagné quelque chose en délicatesse ? Son énergie, retenue d’un côté, n’a-t-elle pas de plus en plus dégénéré en grossièreté ? C’est une question que nous posons à ses lecteurs. M. Dumas, que nous rencontrons ici encore, si ce n’est par quelques péchés de jeunesse que nous croyons peu systématiques, comme Antony, a donné peu de gages jusqu’à présent au socialisme. Ce n’est pas qu’il ne lui soit venu en aide à certains égards. L’exaltation du bien-être matériel n’est pas, que je sache, un trait moins accusé chez l’auteur de MonteCristo que chez le peintre de Rodolphe ; mais, en fait de chimères, M. Dumas, esprit d’un vol moins ambitieux, même dans ses rêves, paraît s’être arrêté jusqu’ici au magnétisme, qui lui tient lieu du phalanstère. Alexis a remplacé pour lui Fourier et Saint-Simon. Il a laissé a d’autres la psychologie, et il s’est installé dans l’histoire. Seulement, il