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augmentée des nouvelles recrues que lui envoient chaque jour l’orgueil irrité et la faim non satisfaite. Nous avions donc raison de le dire : la question n’est pas seulement littéraire, elle est sociale ; elle est du ressort de la législation non moins que de la critique ; elle touche à toutes les sortes d’intérêts, et nous avons dû y insister quelque peu.

Le second Théâtre-Français s’adresse à un auditoire jeune et passionné, si passionné qu’il ne s’est pas contenté de goûter dans Lucrèce une œuvre recommandable, mais qu’il l’a applaudie à outrance comme un chef-d’œuvre. Pourtant, si ce n’est pour l’infériorité ordinaire des produits, nous ne voyons pas en quoi la seconde scène française diffère de la première. Sur une rive comme sur l’autre, nous rencontrons force jeunes preux qui ont conçu le projet singulièrement héroïque de monter à l’assaut du passé et d’entrer en vainqueurs dans des places prises : braves gens qui, pour s’attacher au char du triomphe, se mettent en tête qu’ils sont les triomphateurs ; honnêtes antiquaires qui, n’étant pas, tant s’en faut ! des Champollion, se donnent volontiers pour des Sésostris ! Est-ce par hasard dans la Jeunesse du Cid qu’il faut saluer l’ère nouvelle de la comédie et du drame ? Mais ce n’est encore là qu’une traduction médiocre, qui s’évertue assez gauchement à simuler la fantaisie ? Est-ce dans le Trembleur, petite pièce qui ne semble avoir été écrite que pour encadrer quelques épigrammes superficielles à l’adresse des alarmistes politiques ? Vraiment, ce serait prendre bien au sérieux un rien agréable ! Otez à la Farnesina les paillettes brillantes d’un style inégal et ces lambeaux d’un lyrisme où l’esprit a trop de part pour être jamais fort émouvant, que devient la pièce ? Ne fond-elle pas tout entière entre les mains de la plus indulgente critique, pour peu que celle-ci demande à la comédie autre chose que des images imprégnant un tissu sans consistance et des arabesques assez peu variée sur un fond qui se dérobe ? Au Théâtre-Historique mieux achalandé, à vrai dire, M. Dumas règne et gouverne. Naguère on y jouait la Jeunesse des Mousquetaires ; hier paraissait le Chevalier d’Harmental ; aujourd’hui nous avons la Guerre des Femmes. Les titres changent, la pièce est toujours la même. Quelle idée c’est donner à des spectateurs français de la tradition, de l’histoire de leur pays, qui finit la meilleure partie du vrai patriotisme, quelle peinture c’est leur tracer du génie et de la politique de Richelieu que de l’exposer pour ainsi dire au mépris populaire dans une courte et odieuse apparition ! Dans d’Harmental, dans la Guerre des Femmes, même insistance sur les côtés misérables, même absence de noblesse, même trait superficiel, même oubli, au point de vue moral comme au point de vue historique, de tous ces sentimens élevés toujours si sûrs de rencontrer la sympathie des hommes assemblés. Nous accueillerions avec grande joie l’espoir d’une conversion. Malheureusement il est avéré que M. Dumas vise de moins en moins à l’enseignement. Aucun de ceux qu’il amuse ne doute que le triomphe d’aucune idée ne vient troubler ou préoccuper ses veilles, et il y aurait, même à ses yeux, de la naïveté à le supposer. Le nouveau collaborateur de M. Dumas, le ciseau, n’est pas de nature à opérer cette transformation. Il ne fera pas ce que la plume n’a pas su faire. Nous ne saurions blâmer M. Dumas. Il est certain que, pour le but qu’il se propose, il est infiniment plus expéditif de couper des chapitres dans les romans et de les habiller en drames, sorte de toilette ou de déguisement qui ne coûte guère à un prestidigitateur aussi alerte, que de créer des œuvres