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inattendue du fus atque nefas, elle arriva, on sait comment. Le public attentif et bienveillant, malgré les sombres distractions du dehors, prêta l’oreille, d’autant plus disposé à se montrer tolérant pour bien des licences qu’il y avait plus d’hommes et plus de choses dont il n’eût pas été fâché de tirer en riant quelque petite vengeance. Un auditoire presque tout entier de l’opposition et d’avance en complicité avec l’auteur, quelle bonne fortune pour la comédie politique ! quelle place admirable à prendre, si elle eût su s’en emparer ! À peine quelques théâtres répondirent-ils à l’appel, ceux-là que l’on nomme les petits théâtres. Je ne me demande pas si le succès fut réel, tant la masse avait besoin de trouver un aliment littéraire à ce besoin de critique qui l’agitait ! Avide d’allusions, le public alla battre de mains à des œuvres qui n’avaient lien de commun avec l’art, mais qui répondaient tant bien que mal à sa pensée. Quant à la grande scène, quel enseignement, quel parti tira-t-elle du mouvement extérieur, et de la disposition générale ? Si ce n’est un chant exprimant la pensée d’un autre âge, si ce n’est la Marseillaise faisant son apparition sous les traits d’une Hermione travestie en citoyenne, quel bruit vint avertir ces tranquilles échos que la liberté illimitée était enfin délivrée du vautour rongeur de la tyrannie ? Chose triste et piquante, assez ordinaire toutefois, il se trouva que ceux qui se plaignaient que la censure leur coupât les ailes n’avaient pas d’ailes. Quand la liberté de tout dire leur eut été laissée, ces bouches prodigues de promesses n’avaient rien de plus à dire que la veille. Comédie de plus donnée par la réalité parmi tant d’autres comédies non écrites !

Je n’en doute pas pourtant, il n’est pas jusqu’au plus épuisé des genres, jusqu’à la tragédie, qui n’aurait pu gagner au mouvement passionné du dehors. La politique prise sur le fait pouvait éclairer l’histoire. Nos pères peignaient par la divination du génie, aidée de l’étude des annales, les révolutions qu’ils n’avaient pas vues. Le sort nous a prodigué l’expérience. Nous avons pu toucher de près ce qu’ils ne faisaient que pressentir ; nous avons nous-mêmes mesuré l’abîme où ne plongeaient que leurs regards. Ce qui nous paraissait chez l’historien tableau trop distrait, peinture exagérée, boutade chagrine, s’est vivifié, réalisé, justifié. Pour peindre le passé éclairé par le présent, ce ne sont pas les couleurs qui manquent : le peintre seul fait défaut. Est-il permis du moins de l’entrevoir ? À défaut de Corneille, avons-nous un Rotrou ? Non, nous n’avons que des Jodelle. Je jette les yeux sur les derniers produits de la scène, et là j’aperçois, comme un point, parmi tant de chefs-d’œuvre qu’une semaine apporte et enlève, une pièce intitulée la Chute de Séjan. Je doute que l’ame ignoble du ministre de Tibère puisse devenir aisément la matière d’un drame. Il est peu probable que le talent s’aventurerait à tirer une tragédie de cette fange. Cependant, l’aventure tentée, l’étude approfondie des révolutions pourrait fournir plus d’un trait profond et accusé. À défaut de Jules César et de Richard III, il n’était pas exorbitant, d’après les données, d’espérer une forte étude dans le goût du Tibère de Marie-Joseph Chénier. Au lieu de cela, qu’avons-nous ? Une tragédie tatouée, peinte de toutes les couleurs, où Marion heurte Andromaque, où le Charles-Quint d’Hernani apprend la politique et la philosophie au Séjan de Juvénal, la fantaisie faussant l’histoire, Triboulet commentant Tacite.

O comédie, comédie qui nous presses et qui nous enveloppes, ô comédie,