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double tendance, c’est-à-dire qu’à la fois il cherche passionnément la vérité et ment effrontément. — Il n’y a plus de poésie ! Mais ouvrez les journaux et lisez. Connaissez-vous un trait d’un héroïsme plus lugubre que cette action de Bem se faisant clouer vivant dans une bière pour échapper à l’Autriche victorieuse, se préparant ainsi une mort imaginaire pour échapper à une mort réelle ? Et voyez à Prague, en juin 1848, celui dont Bem, quelques mois après, redoutait les vengeances. La femme et le fils du prince de Windischgraetz, disaient les journaux d’alors, ont été assassinés sous les yeux du prince ; celui-ci était au pouvoir des insurgés, ils l’entouraient, le menaçaient, et lui, impassible, a donné l’ordre de bombarder Prague. Le courage et l’héroïsme existent donc, absolument comme autrefois, et avec toutes les formes qu’ils revêtaient jadis. Raisonnez tant que vous voudrez, sur l’esprit poétique des populations barbares, sur le courage romanesque des femmes scandinaves et germaniques : soudain la singulière épouse de Garibaldi arrive pour ressusciter en sa personne toute la tribu des femmes des outlaws et des proscrits. Dans cette époque, il semble que tous les temps soient mêlés. Au milieu de la civilisation la plus raffinée, on a vu se produire des actes d’une sauvagerie incroyable ; il n’y a pas, dans toute l’histoire des Normands, d’acte plus sauvage que celui de cette bande s’enivrant à Neuilly et brûlant avec le château qu’elle a incendié. Que manque-t-il à tout cela pour devenir de la poésie ? — D’être jeté dans une perspective plus lointaine, d’être transfiguré par la lumière du passé. Et les traits de douceur poétique et de piété extraordinaire ne manquent pas non plus au milieu de tous ces faits terribles. Tout récemment, n’avez-vous pas lu que lady Franklin s’était embarquée pour aller à la recherche de son mari, parti pour faire le tour du monde, et dont on n’a plus reçu que des nouvelles incertaines ? Nous n’hésitons pas à déclarer (et cela sans malice sous-entendue) que cette conduite est infiniment plus belle que celle de Pénélope. Cette dernière se contenta d’attendre patiemment et prudemment.

La seconde raison n’est donc pas plus valable que la première : il y a, dans notre temps, tout autant d’élémens poétiques qu’autrefois. D’où vient donc cette stérilité littéraire ? demanderons-nous pour la troisième fois. — Alors arrive une troisième réponse. — C’est que nous sommes un peuple vieux ; l’élément générateur est épuisé en nous, les sources de l’intelligence sont taries. — Mais véritablement, si nous sommes trop vieux, tournons nos regards vers les peuples lei plus jeunes, la Russie et les États-Unis : est-ce que la littérature et les arts sont très florissans dans ces deux pays ? J’ai connu des esprits très cultivés, très élevés, qui, dans leurs conversations, m’ont souvent annoncé la mort prochaine de toute littérature,