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pas à ce déshonneur,… et peut-être aussi voudra-t-il en tirer vengeance.

— Un duel, par hasard ? demanda Arthur en souriant.

— Un duel si vous voulez, mais où le choix et l’avantage des armes seraient entièrement du côté de l’Hindou. Cependant, si l’injure qu’il a reçue n’a pas eu d’autres témoins que des Européens, il se pourrait qu’il n’y attachât pas une aussi grande importance. Quant à moi, je ne m’y fierais pas, car les brahmanes ne pardonnent jamais un affront.

Sir Edward, pour donner un autre tour à la conversation, parla d’un épagneul qu’il venait de recevoir d’Europe et qu’il s’agissait de mettre à l’épreuve dans les marais de Panwell, où les sportmen de Bombay vont chasser la bécassine. On projeta des parties à cheval et en bateau sur divers points de l’île de Bombay et des côtes voisines. — L’hiver se passa fort agréablement sans que les deux amis entendissent parler du brahmane ; ils avaient même oublié la petite aventure que nous venons de raconter, quand un incident fortuit la leur remit en mémoire. Sir Edward allait partit pour le Bengale, où l’appelaient de grandes chasses au tigre et à l’éléphant. La veille du jour où il devait quitter Bombay, il dînait avec quelques amis : Arthur était de la fête. Vers la fin du repas, les serviteurs, fatigués d’agiter les éventails sur la tête des convives, s’endormaient dans les coins de la salle ; les maîtres d’hôtel se retiraient après avoir versé la dernière bouteille de champagne. Tout à coup un kouli (commissionnaire hindou) vint apporter un paquet très proprement enveloppé et adressé à sir Edward.

— De la part de qui ? demanda celui-ci.

Maâloum nachin, saheb, je n’en sais rien, monsieur, répondit le kouli en s’incliant, et il disparut.

Ce paquet, sir Edward le délia à moitié, et reconnut qu’il contenait les babouches que de sa propre main il avait posées sur le front du brahmane. Il se hâta de le refermer en jetant sur Arthur un regard qui semblait dire : « Pourquoi m’avez-vous poussé à faire cette folie ? Tous les conviés l’accablèrent de questions pour savoir ce que renfermait ce mystérieux paquet ; sir Edward se contenta de répondre : — C’est un Hindou de ma connaissance qui m’envoie son présent d’adieu !


III

Le lendemain, sir Edward, ayant expédié ses bagages en avant, s’embarquait dans un bateau qui allait le conduire de l’île de Bombay à la grande terre ; une fois sur le continent, il devait retrouver ses chevaux et poursuivre sa route jusqu’au Bengale. Au moment où il quittait le rivage, un pénitent hindou du genre de ceux qu’on nomme sanniassy