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épais sous lesquels des bananiers aux larges feuilles montraient leurs grappes de fruits mûrs. À un détour du chemin, un gros viguier de l’espèce des multiplians laissait pendre du haut de ses branches toute une forêt de racines effilées qui cherchaient à s’implanter en terre. Derrière ce rideau de verdure se cachait la maison du brahmane, ce qui fit que les cavaliers la découvrirent à l’improviste.

— Par ma foi, sir Edward, s’écria le plus jeune des deux cavaliers en arrêtant son cheval, voilà deux personnages qui se font l’un à l’autre un étrange pendant ! On croirait voir sur la même branche un oiseau de paradis et un hibou… En vérité, je donnerais dix guinées pour avoir sur mon album le portrait en pied de cette jolie Hindoue.

Sir Edward tira doucement la bride de son cheval, comme pour attendre son ami, mais sans tourner la tête et sans répondre un seul mot.

— Mais voyez donc, continua avec enjouement le plus jeune des deux cavaliers, comme sa physionomie est grave et distinguée ! quelle harmonie entre cette lèvre supérieure légèrement renflée et ce menton si fermement arrondi ! Et quelle pose !… Ne dirait-en pas qu’elle veut singer la statue de la Nuit de Michel-Ange ? Quant au père, avec son enduit de cendres mouillées, il ressemble assez à un caïman qui se sèche au soleil.

— Allons, Arthur, répliqua sir Edward, ne restons pas ainsi à flâner le long des chemins ; voici l’heure où la haute société de Bombay va se réunir sur l’esplanade autour de la musique. Venez, je vous présenterai à quelques gentlemen de ma connaissance.

— Je serais pourtant curieux de voir cette charmante créature faire quelque mouvement. Quel singulier costume !… Une seule pièce d’étoffe autour du corps, et des colifichets des pieds à la tête !

La jeune fille, fatiguée de ce regard attaché sur sa personne, s’était levée tout d’un coup pour fuir dans sa maison.

— Bravo ! reprit Arthur, elle saute comme une biche ; les anneaux de cuivre résonnent à ses jambes comme les grelots du tambour de basque aux mains d’une almée. Et ce vieux rêveur ! a-t-il juré de rester là jusqu’au jour du jugement ?… Je ne pars pas d’ici que je ne l’aie fait sortir de sa rêverie… Eh ! brahmane ! — Et il mit à crier aux oreilles de l’impassible Hindou.

— Ne voyez-vous pas qu’il est en extase et que rien au monde ne le tirera de sa méditation ? interrompit sir Edward. En le regardant ainsi Vous avez excité son amour-propre de dévot hindou ; soyez certain qu’il ne cédera pas. – Et comme Arthur, se piquant au jeu, agitait sa cravache autour du visage du brahmane. — Attendez, dit sir Edward avec impatience ; puisque vous le voulez absolument, je vais recourir aux grands moyens. J’en sais un infaillible pour mettre hors de lui le