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russe et prussienne, ou se concerter avec Frédéric et Catherine pour conserver du moins l’équilibre européen par l’accession de l’Autriche à un partage qu’elle déplorait sans doute, mais qu’il lui était impossible de prévenir. Le premier parti était aussi humiliant qu’onéreux. Après les efforts que leurs majestés impériales ont tentés pour imposer à leurs voisins, après les sommes immenses qu’elles ont sacrifiées à l’espoir de contenir une ambition rivale, elles s’exposaient par l’inaction à une ruine financière complète et au mépris, ruine morale, la plus irréparable de toutes. Il ne restait donc plus que la détermination à laquelle ma cour s’est arrêtée, quoiqu’avec les plus grands regrets et la plus extrême répugnance. Contrainte par la force des événemens, sans être animée par aucune passion personnelle, elle se contente de s’assurer des acquisitions proportionnées à celles que fera la cour de Berlin : La balance européenne exige ce dédommagement. Seul il peut maintenir la puissance autrichienne dans sa situation naturelle. En conséquence, leurs majestés impériales feront suivre pas à pas les démarches du roi de Prusse, et feront marcher de front avec les envahissemens de ce prince leurs justes et antiques prétentions sur différens districts de la Pologne. »

Ensuite M de Kaunitz revint sur ses griefs contre la France, mais avec un ton plus doux et même avec une nuance d’affection et de bonhomie. « Hélas ! mon cher prince, dit-il à M. de Rohan, ceux qui m’aiment doivent me plaindre ! »

M. de Kaunitz ne pouvait tromper M. d’Aiguillon. Comme après tout le duc ne manquait pas d’esprit, il sentit parfaitement ce qu’il avait de faux dans les raisonnemens du chancelier de cour et d’état, il les réfuta même avec raison et clarté dans une lettre à M. de Rohan ; en même temps, il lui défendit d’en faire usage, et lui interdit non-seulement le reproche, mais la plainte. Dans une situation tellement humiliante qu’elle excusait le langage le plus véhément, il ne parut occupé que du soin de ménager le cabinet de Vienne. La nouvelle définitive du partage sembla ne lui suggérer qu’une seule idée, celle de ne point laisser échapper devant M. de Kaunitz le moindre signe de mécontentement et d’humeur. Il croyait devoir lui demander grace pour la France, dont le ministre autrichien avait pris la peine de se jouer.

L’abandon des Polonais fut résolu ; d’Aiguillon leur fit déclarer « que le roi ne pouvait plus se mêler de leurs affaires, que sa majesté ne voulait plus ni suggérer ni autoriser leurs déterminations futures, et que désormais ils n’avaient à prendre conseil que d’eux-mêmes. » Après tant de promesses, ce langage était dur. Rohan, chargé de le transmettre, en adoucit l’expression par la délicatesse de ses procédés. Deux députés de la confédération résidaient depuis quelque temps à Vienne. Le prince de Rohan les avait introduits auprès du prince de Kaunitz, qui les avait reçus avec une indifférence polie. Cet accueil bien médiocre les avait pourtant remplis d’espérances et d’illusions ; fermant