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instigateur des violences qu’il déplore, mais un de ces magnats qui en ont été victimes.

On comprend ce qu’une telle duplicité avait dû jeter de froideur et de méfiance dans le commerce des deux souverains alliés. Ce fut alors que Frédéric se rapprocha de la cour de Vienne dans des intentions sérieuses et de la cour de Versailles afin de masquer son jeu. Au reste, il avait toujours conservé des intelligences en France, même pendant la guerre. Après la rupture la plus violente, après les outrages mutuels plus impardonnables et au fond les moins pardonnés, il n’avait cessé de correspondre avec Voltaire. Tout en se moquant des prétentions diplomatiques du philosophe, il en avait profité pour nouer des intrigues à Versailles, tantôt par la margrave de Baireuth, Tantôt par le cardinal de Tencin ou le maréchal de Richelieu ; mais la métromanie du roi de Prusse avait nui à sa politique. Tant que vécut Mme de Pompadour, le ressentiment de cette favorite, si cruellement outragée par le roi-poète, rendit un rapprochement tout-à-fait impossible. Malgré la paix d’Hubertsbourg, qui avait fait poser les armes à toutes les puissances belligérantes, les rapports diplomatiques ne s’étaient pas renoués entre la France et la Prusse. Il n’y avait pas d’agent français à Berlin ni d’envoyé prussien à Paris. Sans rien changer à cette situation officielle depuis la mort de la marquise, sans faire d’avances compromettantes, Frédéric ne tendit que plus sûrement à son but. Après quelques années de démarches alternativement progressives et rétrogrades, au moyen de rapports secrets, de voyages de philosophes tels qu’Helvétius, de princesses allemandes éprises de la France, de sa littérature, de son encyclopédie, malgré la sourde opposition de la cour de Vienne, les rapports entre la Prusse et la France furent rétablis. On nomma des ministres plénipotentiaires. M. de Goltz partit pour Versailles, M. de Guines pour Berlin. C’était un piége ; le duc de Choiseul croyait l’avoir tendu, mais ce fut lui qui y tomba.

Choiseul avait cru se rendre arbitre entre la Prusse et l’Autriche en relâchant les liens qui l’attachaient exclusivement à celle-ci. Cette combinaison aurait été bonne en d’autres temps, elle était même excellente pour l’avenir, mais il y sacrifiait le présent. Comme tous les esprits d’un jet aventureux et d’une portée rapide, il franchissait les intermédiaires et dépassait le but. Sitôt que l’Autriche se sentit abandonnée par son alliée, ce fut elle qui se rapprocha de la Prusse. C’est ce que voulait Frédéric ; aussi, dès que l’envoyé de France fut arrivé à sa cour, satisfait de l’y avoir attiré et d’avoir compromis le cabinet français aux yeux de l’Autriche, il lui supposa des torts, probablement imaginaires, le traita devant tout le corps diplomatique avec une négligence affectée, poussa enfin les procédés à un tel degré de hauteur et d’inconsidération, qu’il fallut mettre immédiatement un terme à