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France n’était pas en guerre semblerait aujourd’hui bien étrange. La Porte résista quelque temps encore aux provocations du duc de Choiseul, mais enfin elle céda, et la guerre fut allumée, guerre terrible qui pouvait s’étendre sur le monde entier et ramener les pavillons musulmans au pied de quelque capitale chrétienne. Un matin, les habitans de Constantinople apprirent, en s’éveillant, que le grand-vizir était déposé, que M. Obreskof, résident de Russie, venait d’être envoyé aux Sept-Tours, et que par conséquent la guerre était déclarée. Dans ce même moment, l’ambassadeur de France recevait la nouvelle de sa destitution et de son remplacement par M. de Saint-Priest.

Le nouveau grand-vizir était un gendre du sultan, très ennemi des Russes. Il encouragea l’insurrection polonaise, et signa avec la confédération de Podolie un traité cruellement onéreux pour ces mêmes confédérés, qui, vivant au jour le jour, n’ayant ni administration ni comptabilité régulière, s’engagèrent à nourrir une armée de deux cent mille Turcs. Cette fatale alliance, blâmée par tout ce qu’il y avait d’hommes sages parmi les Polonais[1], ne tarda pas à porter ses fruits. Au seul bruit d’une déclaration de guerre, les confédérations partielles surgirent de toutes parts. Radziwil, que Repnin ne daignait plus retenir à Varsovie, s’enferma dans sa forteresse héréditaire de Niesvij avec une troupe de femmes et de jeunes Lithuaniens. Assiégé par les Russes, il fut bientôt obligé de se soumettre, et quatre mille Polonais furent battus par six cents Russes. Ainsi les soldats de Radziwil ne servirent qu’a recruter l’armée ennemie, et lui-même, fuyant une seconde fois la vengeance de ceux qu’il avait combattus, servis, abandonnés tour à tour, s’enfuit à Teschen, en Silésie, où l’évêque de Kaminiek avait imprudemment placé sous le patronage prussien les débris de la confédération de Bar, désormais dissoute. C’est au moment où les Turcs se prononçaient pour elle que la confédération ne pouvait plus rien en faveur de ses nouveaux et redoutables alliés.

Le duc de Choiseul avait cru surprendre Catherine II par la déclaration si brusque de la Porte ottomane ; mais l’impératrice y était préparée. On en trouve la preuve dans sa correspondance avec Voltaire. Toutefois, en prévoyant la guerre, elle désirait la paix : décidée à ne jamais céder sur quelques points essentiels, elle n’épargna rien pour prévenir la décision de la Porte ; mais, lorsque cette puissance eut formellement demandé l’évacuation de la Pologne et le rappel immédiat des troupes russes, Catherine refusa avec fierté, et, sans attendre la déclaration de guerre, commença les hostilités. La cour de Vienne avait été vivement contrariée de l’insistance du

  1. L’évêque Krasinshi écrivit à Potoçki : « Attirer les Turcs pour se défaire des Russes, c’est mettre le feu à la maison pour se débarrasser des souris. »