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Bar et il m’assura que si le public se trompait en faisant l’armée de trente-six mille hommes, elle était au moins de vingt mille.

« J’étais arrivé chez lui à dix heures du soir, je n’avais rien vu, et j’étais impatient de voir son armée. Je me levai, dans ce dessein, dès la pointe du jour ; les troupes étaient déjà en mouvement pour se mettre en marche. M. le comte Potoçki, se soutenant à peine, ne tarda pas lui-même à paraître ; je tâchai de tout observer, et quoique le bruit public lui donnât trois à quatre mille hommes, j’oserais assurer qu’il n’en avait pas plus de cinq cents.

« J’arrivai le 3 juin à Baline, quartier-général des confédérés. À mesure que j’approchais de ville, mon étonnement augmentait ; je ne pouvais concevoir pourquoi je ne voyais rien, de ce qui annonce un camp et une armée. Tout était tranquille aux environs. Je m’adressai aux premiers paysans que je rencontrai, pour savoir où était logé M. le comte Krasinski. Aucun d’eux ne put me répondre.

« M. le comte Krasinski étant alors à une lieue de Baline avec l’armée, je fus l’y trouver, escorté par quatre hommes à cheval que l’on me donna pour m’accompagner.

« Il me fut impossible de savoir la vraie force des confédérés. M. Krasinski me répondit qu’il l’ignorait, et, ce qu’il y a de singulier, c’est qu’il disait la vérité. Il fut question des Moscovites. M. Krasinski en parla avec tant de mépris, avec une si grande sécurité, que son air et son ton ne firent que confirmer la bonne opinion qu’on m’avait donnée de son courage Il assurait que les Moscovites craignaient les confédérés. Ils ne viendront pas, me dit-il ; mais, s’ils viennent, ils seront battus. — Si vous devez les battre, lui répondis-je, il ne faut pas les laisser venir, mais aller au-devant d’eux et les attaquer. Ne leur donnez pas le temps de devenir plus forts que vous. »

Je ne fus pas long-temps à m’apercevoir que la confédération était perdue, et qu’il ne lui restait plus de ressource ; mais il était dangereux d’irriter les confédérés en les quittant brusquement. Je feignis de ne pas voir ce qu’ils voulaient me cacher, et je résolu d’attendre, sans chercher à m’engager davantage avec eux ; je ne sentais que trop qu’ils viendraient à moi, mais j’étais déterminé à leur tout refuser. Les raisons qu’ils m’auraient fournies eux-mêmes suffiraient pour autoriser mes refus.

« M. Krasinski, s’étant concerté avec les autres maréchaux de la confédération, vint à moi en effet, et me dit qu’il était temps que nous parlassions un peu sérieusement ensemble. Je lui dis que c’était ce que je désirais depuis long-temps.

« Il commença par me demander ce que je pourrais faire pour eux, et si je leur donnerais quelque chose. Je lui répondis que mes instructions leur étaient connues, qu’ils y avaient vu que l’intention du roi était de les secourir par quelque somme d’argent, et de les mettre en état, par ce moyen, d’attendre l’effet de ressorts plus puissans qu’on se proposait de faire jouer en leur faveur, mais qu’il savait aussi que, pour lui remettre cet argent, il m’avait été recommandé d’observer si ce secours pourrait les aider dans leurs projets et dans leurs affaires. « Jugez donc vous-même, monsieur, présentement, voyez si vous m’avez mis en état de remplir cette condition conformément aux ordres du