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une chambre malpropre, était tout le logement du comte Potoçki. Sa femme qui l’avait suivi dans ses malheureuses expéditions, ne pouvait trouver d’issue pour passer dans ses terres, et n’était pas logée plus convenablement que lui.

« Mon début était embarrassant, ou, pour mieux dire, je n’avais pas la liberté de choisir. Si j’avais voulu faire quelque mystère à M. Potoçki sur ma mission, il s’en serait aperçu ; cela lui aurait fait naître des soupçons ; j’aurais passé dans son esprit pour un aventurier, on m’aurait renvoyé avec honte, et, peut-être arrêté. Les confédérés, qui portent la défiance à l’excès, ne souffrent point parmi eux d’observateurs. J’aurais été le premier étranger qui se serait présenté sous ce titre ; ils ne veulent pas qu’on connaisse leur faiblesse ; ils ne voient que des traîtres, que des espions dans tous ceux qui ne sont pas de leur parti.

« Après avoir remercié le comte de la liberté dont j’espérais lui être redevable je lui dis que le roi, ne pouvant être informé plus exactement de l’état de la confédération de Bar, avait jugé à propos de m’y envoyer ; que la première loi qui m’était prescrite était de tenir ma mission secrète, qu’il ne m’était permis de m’en ouvrir qu’avec les chefs de la confédération, mais que, malgré cette condition dictée par la prudence, les confédérés ne devaient voir dans cette première démarche qu’un effet de la bienveillance du roi ; que sa majesté, remplie d’estime pour les dignes citoyens qui avaient eu le courage de prendre les premiers la défense de leur patrie opprimée, désirait qu’on lui fournît les moyens de leur faire voir par une assistance utile que son affection, dont des raisons particulières avaient suspendu pendant quelque temps les témoignages, était toujours la même pour la république. J’ajoutai que j’étais adressé à M. le comte Krasinski, maréchal de la confédération, et que je ne pouvais me dispenser de me conformer littéralement à mes ordres, quoique persuadé que si, avant mon départ de France, on eût su qu’un seigneur tel que lui avait embrassé le même parti, je lui aurais été adressé par une attention qui était que à sa haute naissance et au rang qu’il tenait en Pologne ; mais mon devoir étant d’aller trouver M. le comte Krasinski, quelque part qu’il pût être, je priai M. le comte Potoçki de vouloir bien me faciliter les moyens de me rendre auprès de lui.

«  M. le comte Potoçki, couché sur un mauvais grabat dans cette hutte où je l’ai représenté se trouvait dans un état digne de compassion. Quoiqu’il l’attribuât aux suites d’une maladie qu’il avait essuyée depuis son expédition, il était aisé de voir qu’il succombait sous le poids de son infortune. Une fièvre ardente le consumait ; il respirait à peine ; il ne parlait que par propos entrecoupés et interrompus. La conversation ne put donc être longue, et ce qu’il me dit se réduisit aux lignes suivantes.

« J’entendis d’abord tous ces grands mots que les confédérés répétaient actuellement par habitude, c’est-à-dire que, « libres de toute vue d’intérêts, ils n’avaient pris les armes que pour la défense de la foi, des lois et de la liberté ; que Dieu répandrait sans doute sa bénédiction sur une cause juste qui regardait sa gloire. » il ajouta que « les puissances intéressées à empêcher l’oppression des Polonais ne les abandonneraient pas ; qu’ils étaient encore en état de résister aux Moscovites, mais qu’ils succomberaient enfin, s’ils étaient livrés à leurs propres forces. » Il me parla des troupes de la confédération de