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trop légèrement ses bons offices. Sa majesté a senti quelque chose de pire dans cette légèreté, elle en a été blessée ; il ne s’agit point de San-Remo, il s’agit du procédé ; il est impossible de l’excuser entre deux cours amies, unies par leurs intérêts et leurs liens, procédé qui devient offensant vis-à-vis de toute l’Europe pour le roi, et marque le peu de considération que l’on a à Vienne pour la France. Voilà comment l’affaire a été vue ici, et je pense, si j’ose dire mon avis, que ce qu’il y a de mieux, soit pour la suite, soit pour le passé, est de l’ensevelir dans le plus profond oubli. Il vaudrait mieux, selon moi, que la France perdît deux provinces que d’essuyer un manque de considération[1]. »

Ce langage produisit l’effet infaillible de toute parole ferme appuyée sur le bon droit. Kaunitz baissa de ton. Il sentit en outre que l’ancienne amitié avait besoin d’être réchauffée par un rapprochement plus intime. L’introduction d’une archiduchesse dans la maison royale de France pouvait seule neutraliser les boutades patriotiques du ministre français, et plus tard les punir par sa chute.

On ne songea donc à Vienne qu’à multiplier les liens de famille avec tous les princes de la maison de Bourbon. Ce fut alors que l’archiduchesse Caroline épousa le roi de Naples, l’archiduchesse Amélie le duc de Parme, et que la main de Marie-Antoinette fut proposée au roi Louis XV pour M. le dauphin, son petit-fils. Tous les historiens nous montrent, dans le duc de Choiseul, l’auteur de ce mariage ; on suppose qu’il l’a ardemment poursuivi dans son intérêt personnel, afin de donner un appui à son crédit chancelant. Il n’en est rien. Le roi et son premier ministre ne briguèrent point l’union de Marie-Antoinette avec l’héritier de la couronne. Ils ne voulaient point donner une nouvelle force à l’alliance autrichienne, dont les liens n’étaient plus que des chaînes. La politique de M. de Choiseul, nous allons le voir, avait pris une autre direction ; mais l’empressement de la cour de Vienne fut extrême : ses désirs devinrent si ardens, ses démarches si publiques, qu’un refus eût été l’équivalent d’une rupture.

Ce mariage, au surplus, ne fut qu’un palliatif ; l’alliance était frappée au cœur. Personne ne le savait mieux que Frédéric ; pour mieux élargir la plaie, il résolut d’exciter la jalousie réciproque des deux cours en faisant à chacune d’elles des ouvertures destinées en apparence à rester secrètes, mais que lui-même, par de sourdes manœuvres, prit soin d’ébruiter partout, sans les avouer nulle part. Son but n’était pas seulement de brouiller les cabinets de Versailles et de Vienne, afin d’opérer un rapprochement entre la Prusse et l’Autriche ; il voulait encore, par la menace de cette alliance, inquiéter Catherine et la forcer de concentrer toute son activité sur la Pologne, dont elle avait été

  1. Choiseul à Vergennes, 14 mars 1767.