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il s’agissait d’en conjurer les suites. On comprit qu’en parlant de la sorte, le roi de France et son ministre venaient de céder à l’entraînement de l’opinion. Malgré leur désintéressement des affaires politiques à cette époque, les Français se sentirent indignés de tant de sacrifices à l’alliance autrichienne. Les ambassadeurs, chargés par état de la soutenir, ne pouvaient se soustraire eux-mêmes à ce souffle contagieux. Ainsi qu’il arrive souvent dans les traités négociés par les cabinets en contradiction avec l’esprit public, le mécontentement perce, se fait jour et maîtrise le gouvernement lui-même.

L’alliance autrichienne inspirait alors des sentimens de répulsion à toute la France, et M. de Kaunitz le savait bien ; mais l’Autriche avait encore besoin d’elle. Il sentit que, pour ne pas la laisser échapper, il fallait céder à l’orage et plier. Ce parti fut adopté, et les rôles aussitôt partagés : à l’empereur le silence, au ministre les raisonnemens politiques, à l’impératrice la plainte affectueuse et tendre. « Je suis mécontente, monsieur l’ambassadeur, dit-elle à M. de Durfort, successeur de M. du Châtelet, je suis affligée. La lettre de M. de Choiseul à M. de Kaunitz est bien dure ; personnellement je n’ai pas à m’en plaindre, bien au contraire, mais elle est remplie de soupçons qui font injure à l’empereur. Le duc de Choiseul veut-il gâter son propre ouvrage ?… Cette affaire de San-Remo doit-elle troubler notre alliance ? » Le prince de Kaunitz se plaignit à son tour dans des termes moins affectueux, mais avec une tristesse qu’il voulait rendre majestueuse ; puis, mêlant à ce langage sérieux une légèreté soi-disant française qu’il croyait devoir plaire au brillant ministre de Louis XV, il se railla des petites affaires, persifla les petits alliés, conseilla au duc de Choiseul de « donner des coups de bâton » aux Génois pour en finir, et promit que désormais l’empereur serait « plus coquet pour une aussi belle maîtresse que la France[1]. »

Choiseul ne se laissa séduire ni par une éloquence sophistiquée ni par des graces un peu lourdes : il s’obstina à protéger ses petits alliés opprimés par de grandes puissances, et, au lieu de leur donner des coups de bâton, il les couvrit de la glorieuse égide de la France. Cette expression de coquetterie blessa Louis XV et son ministre ; le duc s’en expliqua avec noblesse et répondit à Kaunitz :

« Ce n’est pas de la coquetterie que le roi demande à l’empereur, mais de la justice et de la confiance. On apprécie souvent très faussement le cœur des souverains à qui l’on a affaire, tout comme l’on apprécie leurs forces. Ces calculs sont contraires à l’amitié ; on ne les détruit pas par de la coquetterie, mais par des preuves de sentimens réels. Pardonnez, mon prince, la longueur de mes réflexions, la matière en vaut la peine. Le roi a cru que l’empereur avait traité

  1. Archives des affaires étrangères.