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de besogne aujourd’hui ; si je t’oublie, ne m’oublie pas. » Puis, se tournant vers ses hommes : « Enfans, dit-il, en avant ! » Cette invocation fait penser à celle de La Hire : « Mon Dieu, je voudrais que tu fisses pour moi ce que je voudrais faire pour toi, si tu étais La Hire et si La Hire était toi. » Il me semble que la piété militaire des cavaliers devait être de la même famille que celle de notre Montluc, lequel eut pareillement affaire à des têtes-rondes. Ce vieux capitaine, qui écrivait ses mémoires après avoir porté les armes cinquante-cinq années, qui, ayant été soldat, était devenu maréchal de France, qui s’était trouvé, je crois, en mille et cinquante et un faits de guerre, « me voyant stropiat presque de tous mes membres, d’arquebuzades, coups de picque et d’espée, et à demy inutile, sans force et sans espérance de recouvrer guérison de ceste grande arquebuzade que j’ay au visage, » Montluc racontait ceci : « Encore que j’aye eu des imperfections et des vices, et ne sois pas sainct non plus que les autres (les huguenots en ont leur part, quoiqu’ils facent les mortifiez), si est-ce que j’ay toujours mis mon espérance en Dieu… Et plusieurs fois je puis dire avec la vérité que je me suis trouvé, en voyant les ennemis, en telle peur que je sentois le cœur et les membres s’affoiblir et trembler (ne faisons pas les braves, l’appréhension de la mort vient devant les yeux) ; mais, comme j’avois fait mon oraison à Dieu, je sentois mes forces revenir. Elle étoit ainsi, l’ayant dès mon entrée aux armes apprise en ces mots : — Mon Dieu qui m’as créé, je te supplie, garde-moi l’entendement, afin qu’aujourd’huy je ne le perde, car tu me l’as donné et ne le tiens que de toy. Que si tu as aujourd’huy déterminé ma mort, fais que je meure en réputation d’un homme de bien, laquelle je recherche avec tant de périls. Je ne te demande point la vie, car je veux tout ce qu’il te plaist. Ta volonté soit faite, je remets le tout à ta divine bonté. — Puis, ayant dit mes petites prières latines, je promets et atteste devant Dieu et les hommes que je sentois tout à coup venir une chaleur au cœur et aux membres, de sorte que je ne l’avois pas achevée que je ne me sentisse tout autre que quand je l’avois commencée. »

Je n’essaierai point de suivre l’histoire de la guerre civile : les trois gros volumes de M. Warburton ne suffisent même pas à la narration complète et à la description des actions militaires de Rupert et des cavaliers. Ce fut une guerre de partisans, la petite guerre telle que, sur le continent, on la pratiquait encore le plus souvent au XVIe siècle, mais comme on ne la faisait presque plus au XVIIe. Pour en avoir une idée, puisque j’ai nommé Montluc tout à l’heure, il faut lire ses Commentaires. — Ce sont combats, rencontres, escarmouches, embuscades, rarement batailles, petits siéges, assauts, escalades, prises ou surprises de places (mais rarement bien fortifiées), défenses des assaillies et assiégées. — Dans les grandes affaires qui décidèrent de la fortune de Charles Ier, les deux partis mettaient rarement en présence quinze ou