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vie militaire ; c’était aussi la faute du temps : « Il n’y a pas eu de siècle, dit Clarendon, où un si grand nombre de jeunes gentilshommes, qui n’avaient pas d’expérience ou d’ange gardien, aient été engloutis dans cette mer de vin et de femmes, de duels et de jeu, qui déborda sur tout le royaume ; » mais il y avait aussi parmi les cavaliers des hommes d’une irréprochable décence de mœurs et d’une probité intacte, comme le duc de Richmond, le marquis de Hertford, le comte de Northampton, et des milliers de gentilshommes du métal de ce sir Bevill Grenvil dont on a vu plus haut les façons de sentir et de faire.

Les révolutionnaires d’aucun temps n’ont ri ou su rire ; aussi n’ont-ils jamais pardonné à leurs adversaires leur bonne grace et leur charmante humeur, et, par envie et par colère, les ont-ils toujours accusés de corruption. Le cavalier était gai ; le tête-ronde était sombre. D’où venait la gaieté du cavalier ? Sa situation n’était pas gaie ; tous le périls de la guerre, sauf celui de la vie, étaient exclusivement pour lui ; il ne pouvait rien gagner à la victoire, il perdait tout à la défaite. Les royalistes firent à leur cause des sacrifices inouis. Le marquis de Newcastle dépensa plus de sept cent mille livres sterling pour le roi ; le marquis de Worcester un million sterling : si l’on veut avoir une idée de l’énormité de ces sommes dans notre temps, il faut au moins les multiplier par trois. Le cavalier n’eut d’abord, pour se monter le cœur, que l’orgueil de sa race et la tradition chevaleresque. Les premiers et brillans succès de sa cause confirmèrent en habitude cette confiance intérieure ; l’héroïsme du désespoir en entretint encore l’apparence quand vinrent les irréparables revers. Dans la victoire et dans la défaite, le cavalier eut la bonne humeur de l’homme qui s’est dit à lui-même le mot que l’archevêque Turpin dit à Olivier dans la chanson de Roland : « Méprise ta vie et ta mort. » Donc il rayonnait sur son cheval de bataille, un grand cheval flamand à forte membrure, comme ceux que fait Wouvermans. Il secouait galamment, sous la plume de son chapeau ou le fer de son heaume, ses longs cheveux où flottait la boucle d’amour, et qui venaient onduler sur son col de capricieuse dentelle. Il croisait avec orgueil sur sa cotte de buffle ou sur sa cuirasse luisante la grande écharpe brodée par une main chérie et le riche baudrier où pendait sa longue épée. Il riait surtout, rien qu’à voir l’accoutrement de ces marauds de puritains. D’où venait à ceux-ci leur triste figure ? Les meilleurs, les patriotes et les fanatiques, croyaient être les instrumens de Dieu, élus de toute éternité pour fonder le règne des saints sur la terre ; les pires, les cupides et les hypocrites, avaient en perspective le pillage des riches manoirs de la noblesse et « des « maisons à clocher, comme ils disaient, des prêtres de Baal. » C’était de quoi s’éjouir. Pourtant les têtes-rondes grimaçaient la tristesse à faire peur ou à faire rire. Toute leur façon était farouche et rébarbative.