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le partage de la pologne.

magne n’appartient point à la zone du nord de l’Europe, quoiqu’elle s’efforce, depuis deux ans, de prouver le contraire en faisant au Danemark la guerre la plus injuste qui fût jamais. La Prusse, à cette époque, n’avait pas encore imaginé de dominer dans le Nord ; il ne lui restait qu’un parti à tirer de la Pologne : c’était de s’étendre, de s’agrandir en empiétant sur la république, de donner une forme plus régulière à sa propre circonscription, et de reculer sa frontière au moyen d’une importante augmentation de territoire. Il y avait là, pour la Prusse, une satisfaction d’ambition, d’amour-propre, et, il faut en convenir, une nécessité absolue. On s’en convaincra aisément en jetant les yeux sur la carte. Le roi de Prusse ne pouvait se rendre d’une de ses provinces dans l’autre, sans en demander la permission à ses voisins. Pour aller de Berlin à Kœnigsberg, il lui fallait passer sous le canon de Dantzick ; de plus, cette ville, alors polonaise, domine l’embouchure de la Vistule : c’était en grande partie la route de tout le commerce du Nord. Dantzick est située dans la Pomérellie, appelée plus communément Prusse royale, et, comme les mots dominent et amènent les choses ce nom de Prusse royale était une tentation pour le roi de Prusse. Il y succomba.

Le démembrement de la Pologne avait toujours été une des plus constantes, mais des plus secrètes pensées du grand Frédéric. Dans sa jeunesse, il n’en fut pas distrait, même par ses malheurs : quoique brouillé avec son père, il supplia Guillaume Ier de profiter de la mort d’Auguste II, en 1733, pour s’emparer de la Prusse polonaise[1]. Pendant la guerre de sept ans, dans sa correspondance secrète avec l’héritier du trône de Russie, il reproduisit sans relâche le projet du partage, et lorsque le grand-duc fut devenu empereur sous le nom de Pierre III, Frédéric allait profiter de l’admiration enthousiaste qu’il inspirait à ce prince, pour amener à un résultat décisif cette négociation, qu’il avait reprise avec ardeur. Ce ne sont pas de simples conjectures, mais des faits certains appuyés sur des documens contemporains et authentiques[2], faits d’autant moins connus et d’autant plus dignes de l’être

  1. « Une anecdote qui m’a été confiée par M. de Kaunitz, c’est que le roi de Prusse, n’étant que prince royal, avait sollicité vivement son père de profiter de la vacance du trône de Pologne lors de la mort d’Auguste II, pour s’emparer de la Prusse polonaise, et lui avait même remis à ce sujet un mémoire fort détaillé, où il prouvait d’un côté l’accroissement de puissance qui lui en reviendrait, de l’autre la fatalité qu’il trouverait à faire cette conquête et à la conserver. » (Le marquis du Châtelet, ambassadeur de France près la cour impériale, au duc de Praslin, ministre des affaires étrangères, Vienne, 13 novembre 1763.) Archives des affaires étrangères.
  2. Notamment sur la correspondance officielle du baron de Breteuil, ministre plénipotentiaire de France sous le règne de Pierre III, avec le duc de Praslin, ministre des affaires étrangères. « J’ai les yeux ouverts sur ce qui regarde la Pologne, et je suis d’opinion qu’il est intéressant de s’occuper de ce vaste et faible royaume ; il doit être le côté