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dans cette lettre sans trahir leurs devoirs et sans danger pour le roi, sa chère épouse et les jeunes princes leurs enfans. » Tout était fini. Strafford restait seul avec la mort.

Il écrivit à son fils, à ses amis, à ses juges. À son fis, il disait : « Cher Will…, évitez autant que vous pourrez de rechercher ceux qui ont été cruels dans leur jugement envers moi ; je vous défends de laisser entrer dans votre cœur une pensée de vengeance. » Le jour du supplice la foule inondait les abords de la Tour. Le lieutenant de la Tour craignit qu’elle ne mît le condamné en pièces ; il voulut le faire monté dans une voiture. « Non, monsieur le lieutenant, dit-il, je peux regarder en face le danger et le peuple aussi. Je meurs pour son plaisir, et je mourrai comme il lui plaira. » Le peuple, comme celui qui applaudissait jadis les gladiateurs qui mouraient bien, l’accueillit avec respect. On le saluait dans la foule ; il ne manquait au sanglant spectacle que les vestales qui avaient droit de grace au cirque. « Il avait l’air, dit un contemporain, d’un général marchant à la tête de son armée et respirant la victoire. » Son frère et plusieurs amis l’accompagnèrent sur la plate-forme de l’échafaud. Son frère pleurait. « Frère, lui dit-il, que voyez-vous en moi qui cause vos larmes ? Quelque crainte trahit-elle en moi une faute, ou une audace insouciante l’irréligion Figurez-vous que vous m’accompagnez encore une fois à mon lit de noces. Ce billot va être mon oreiller, et là je me reposerai de tous mes travaux. Ni pensées d’envie, ni rêve de trahison, ni jalousies ou inquiétudes pour le roi, l’état ou moi-même, n’interrompront plus ce facile sommeil. » Il adressa une allocution aux amis qui l’entouraient : « Mylord primat d’Irlande, mylords et le reste de ces nobles gentilshommes, ce m’est une grande consolation d’avoir vos seigneuries près de moi aujourd’hui, car je vous suis connu depuis long-temps, et je désire vous dire quelques mots. Si vous m’écoutez, je le tiendrai pour grande courtoisie de votre part. Je viens ici me soumettre au jugement porté contre moi. Je le fais, l’esprit tranquille et content ; je pardonne librement à tout le monde, non un pardon du bout des lèvre, comme on dit, mais du fond du cœur. En présence du Dieu tout-puissant, devant qui je vais paraître, je déclare qu’il ne s’élève en moi aucune pensée déplaisante contre aucun homme… Je suis très heureux que sa majesté ne me regarde pas comme méritant une punition aussi sévère que l’extrême exécution de cette sentence. Je me réjouis infiniment de cette grace de sa part, et je prie Dieu de la lui rendre, et qu’il trouve merci lorsqu’il en aura besoin. Je désire à ce royaume toute la prospérité et tout le bonheur de ce monde. Ce fut mon application vivant, et maintenant c’est mon voeu. J’appréhende du fond du cœur, je vous soumets humblement mon doute, et je voudrais que tout homme, la main sur la conscience, y songeât sérieusement ; j’appréhende que le