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dans son atelier. La faveur de Louis XVIII lui avait assuré la vogue. Chacun de ses portraits nouveaux était pour elle une nouvelle étude. Saint procédait par hachures, Isabey par pointillé, Augustin lavait et cachait son travail. Lizinka s’inspira de cette méthode de son maître, et c’est le seul emprunt qu’elle ait trouvé à lui faire, mais elle eut le goût d’en éviter l’excès. Elle varia les tons de sa couleur suivant la complexion de ses figures, elle serra son modelé avec une délicatesse extrême. Personne ne connut mieux qu’elle la charpente d’une tête humaine : la chair eut la souplesse qui lui est propre, les cheveux eurent le moelleux de la nature, et les yeux, unissant la finesse au fini, deux qualités, si distinctes dans l’art, peignirent la pensée du modèle. L’un des caractères les plus remarquables du talent de Mme de Mirbel, c’est qu’elle oubliait tout système quand elle se mettait à l’œuvre, c’est qu’elle arrivait sans manière devant la nature, c’est qu’elle cherchait à la prendre sur le fait, et se livrait au bonheur de l’inspiration. Comme elle l’a dit elle-même dans un écrit élégant et plein de sens, où elle appréciait son art comme elle le traitait : « La nature est assez féconde en effets variés pour offrir au peintre habile les moyens de faire valoir ses figures sans s’écarter du vrai. »

Il serait difficile d’énumérer les miniatures qu’a peintes Mme de Mirbel pendant sa longue carrière. Quelques-unes sont des chefs-d’œuvre. Elle excellait dans les portraits d’hommes et de femmes âgées. La mère de M. Guizot, par exemple, est incomparable. Il y a d’elle néanmoins des portraits de jeunes femmes d’une rare élégance et d’un bonheur achevé.

Deux autres pertes dans les arts viennent de signaler ces derniers jours : M. Papety a succombé à une fièvre adynamique, et M. Richomme, graveur, membre de l’académie des Beaux-Arts, s’est éteint. M. Papety avait, on s’en souvient, par son Rêve de bonheur, donné les plus brillantes espérances. Dans ses voyages en Italie et en Grèce, il avait recueilli sur la peinture byzantine des documens dont un article publié dans cette Revue[1] a pu faire apprécier l’intérêt. Malheureusement, des études si sérieuses n’ont pu porter fruit. M. Richomme fut un graveur agréable, habile maître du burin, et dont l’exécution séduisante a fait tout le succès. Il a gravé la Galatée de Raphaël et son Adam et Ève, mais il est de cette école qui travestit trop souvent la simplicité magistrale de Sanzio en gentillesse moderne. Il a eu l’imprudence de regraver la Sainte Famille’qu’avait gravée Edelinck, et son œuvre n’a servi qu’à prouver combien Edelinck est un grand maître. M. Richomme laisse un jeune élève dont le talent est bien supérieur au sien, M. Sainte-Ève, qui, lui aussi et plus heureusement, consacre sa vie à la reproduction des œuvres de Raphaël. La mort de M. Richomme laisse à l’institut une place vacante que l’opinion publique, qui choisit quelquefois, dit Tacite, décerne à M. Henriquel-Dupont. M. Dupont est un de ces rares graveurs qui savent passionner le cuivre, et tout ce qui sort de ses mains respire une fleur de sentiment tous les jours moins comme chez ceux qui tiennent le burin.


F. F. C.

V. de Mars.
  1. Voyez la livraison du 1er juin 1847.