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impôt pour en prêter l’argent à petits intérêts. Il faut toujours, en Angleterre, qu’un parti ait un cri ; le cri de M. Disraéli, c’est « l’égalité dans l’impôt, le capital à bon marché ! » Nous doutons néanmoins qu’il pousse bien, loin sa campagne, et nous ne la croyons pas plus dangereuse pour le bon sens public que l’agitation nouvelle entreprise par M. Cobden au nom du principe de la paix. M. Cobden est, il est vrai, plus méchant qu’il ne conviendrait à sa récente métamorphose en pieux ami des quakers ; dans son ardent désir de pacifier le genre humain, il veut absolument commencer par écraser la Russie et par faire faire banqueroute à l’Autriche. À peine sorti du congrès de Paris, il en convoque un autre à Londres pour défendre solennellement aux banquiers de placer leurs fonds dans l’emprunt autrichien. Il en est encore, à propos de la guerre de Hongrie, aux illusions déclamatoires et aux injures révolutionnaires qui n’ont plus même cours aux États-Unis, malgré le retard des distances et le feu du premier enthousiasme. Ce vocabulaire ne saurait réussir beaucoup en Angleterre ; cette grossièreté violente à laquelle nos passions politiques nous ont habitués choque le sens et la droiture d’un vrai gentleman ; Avec un peu de tact, on devine assez vite que les harangues ampoulées qui ont du débit sur le continent ne sont qu’une recommandation très médiocre auprès des honnêtes gens de la société anglaise. M. Louis Blanc ne semble pas avoir eu le moindre soupçon de cette pruderie ; nous lui conseillons donc de méditer la conduite tenue récemment par le prince de Canino, mieux informé que lui sans doute sur ce point-là, quoi qu’il ait été son collègue en révolutions.

Le prince de Canino était cette semaine à Birmingham, où la Société scientifique de la Grande-Bretagne (British association) s’est réunie cette année. L’ancien président de la constituante romaine siégeait là en sa qualité d’ornithologiste. Des admirateurs indiscrets l’invitèrent à honorer de sa présence une soirée publique « qui devait être en rapport avec les sentimens que leur inspirait le véritable héroïsme du peuple romain. » Le prince a refusé par une lettre où il y aurait bien encore quelque chose à redire, ne fût-ce que de l’avoir publiée ; mais enfin il refusé, et il est allé lire le lendemain à la Société scientifique une dissertation très bien pensée sur la différence qu’il y a entre la petite pie bleue d’Espagne et la petite pie bleue de Sibérie. Il n’y a que l’Angleterre pour amener les ames à de telles métempsychoses, et c’est son honneur qu’elles paraissent mêmes naturelles dans le milieu où elles s’opèrent.

Qu’est-ce, en effet, que ce milieu, sinon le large et libre courant de la vie nationale, qui s’épanche avec autant d’abondance qu’il lui plaît, parce qu’elle est pour ainsi dire encaissée dans un lit qu’elle ne franchit pas ? La vieillesse des institutions anglaises en contient la force ; le respect qu’on a pour leur antiquité ne permet pas de se laisser attirer vers le changement aussi vite qu’elles pourraient conduire, On sent de plus en plus tout ce que leur mécanisme a d’élasticité, on sent le parti qu’on en pourrait tirer pour se lancer dans la carrière des improvisations modernes ; mais on sent aussi tout l’avantage des ménagemens traditionnels qu’il faut pour les savoir pratiquer. Nous avons surtout reçu cette vive impression des grandeurs de la constitution anglaise, en lisant un discours prononcé ces jours-ci par sir George Grey, le secrétaire du département de l’intérieur, devant ses électeurs du Northumberland. Les amis politiques de sir George Grey lui avaient offert un banquet à Berwick, pendant sa