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qui voudrait maintenant profiter de ce que la féodalité y laisse encore d’institutions et de réminiscences patriarcales pour relever cet antique rempart contre les doctrines dissolvantes de notre temps. Les robustes familles des fermiers anglais, attachées par des baux sans fin au sol qu’elles cultivent, sont le vrai corps de bataille de la société britannique. Nous voyons avec plaisir les grands propriétaires anglais commencer à montrer la même sollicitude pour leurs tenanciers d’Irlande, et les bonnes paroles qu’ont fait entendre chacun chez lui le marquis de Downshire et le duc de Devonshire devraient bien avoir plus d’écho dans ce malheureux pays. Les meetings agricoles sont une occasion naturelle et propice pour cet échange de bons sentimens entre les différentes classes. C’est là que s’exerce cette faconde anglaise à laquelle ne nuisent jamais ni une pointe de vin ni un grain de folie. Il n’est guère d’Anglais distingué dans l’humour duquel il n’y ait quelque chose de l’une ou de l’autre, et, le tout aidant, on se fait ainsi pour cet usage populaire une éloquence familière et communicative qui n’a presque pas d’analogie chez nous. M. Dupin s’entend, certes, à parler aux paysans de la Nièvre, et son discours au dernier comice de Clamecy respire une saine odeur de vie rustique ; mais ce vigoureux français sent encore pourtant son académie : on aperçoit l’académicien sous la blouse, dans les sabots, et, quoiqu’il porte assez naturellement son costume, on comprend qu’il y met de la fantaisie. Il n’y a pas du tout de fantaisie artistique dans le discours de lord Brougham au banquet de la société d’agriculture du Cumberland. Il y a seulement sous la verve du savant ami de M. Dupin ces deux ingrédiens dont nous parlions tout à l’heure, à plus ample dose, il faut l’avouer, que chez aucun de ses compatriotes : voilà, long-temps que lord Brougham ne saurait plus avoir de rival que lui-même. Qu’on se figure, si l’on peut, l’ancien chancelier d’Angleterre dissertant après boire sur l’application de la vapeur au labourage et sur le plaisir qu’il aurait eu à danser avec les filles de ferme, s’il n’avait mieux aimé s’aller coucher tôt.

Des gaietés aussi éminemment individuelles n’empêchent pas le fond sérieux de ces réunions, dont les journaux anglais nous apportent sans cesse le récit. Le fond, c’est le juste orgueil de vivre dans une société constituée si solidement, qu’elle ne remue pas même au bruit du tremblement universel ; c’est une fierté presque naïve pareille à celle de l’homme robuste qui trouve un secret plaisir à montrer sa large poitrine et ses membres nerveux. Les loyaux toasts d’usage, les toasts en l’honneur de la reine et de sa famille sont prononcés avec une satisfaction réfléchie, avec un respect convaincu ; on bénit, on glorifie ce noble établissement constitutionnel que la monarchie couronne sans le surcharger ; on admire la force pénétrante avec laquelle il impose à la conscience nationale le sentiment de la légalité.

Le plus bruyant révolutionnaire des trois royaumes n’est autre en vérité maintenant que M. Benjamin Disraéli : Coningsby, le parangon du féodalisme chevaleresque et du royalisme de 1648, ne s’est-il pas avisé de mettre tout son esprit à devenir une manière de socialiste ? L’ingénieux romancier ne pardonne pas à sir Robert Peel de le surpasser dans la science des chiffres transformé pour le quart d’heure en leader parlementaire, il a pris à cœur de prouver qu’il s’entendrait tout comme un autre à critiquer ou à conduire l’échiquier ; il est accouché d’un plan qui consiste, en deux mots, à lever un gros