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ne comprend point qu’il y ait pour eux une chance quelconque d’abuser de son hospitalité, tant elle se sait solidement établie chez elle. M. Louis Blanc, quand il mit le pied sur cette terre protectrice, avait pensé qu’il était d’un galant homme de rassurer les bourgeois de Londres, en leur promettant d’être sage ; sa politesse lui valut un beau succès de rire. M. Louis Blanc était tout seul s’imaginer qu’il pût déchaîner des tempêtes de ce côté-là du détroit.

Cette sécurité était encore exprimée l’autre jour d’une façon d’autant plus piquante, qu’elle était plus naturelle dans une lettre de lord John Russell, que la presse anglaise a publiée. Il s’est formé à Londres un comité de secours pour les réfugiés romains ; le président de ce comité, M. Hume, avait écrit au premier ministre pour appeler sa vindicte sur le gouverneur de Malte, qui n’a pas voulu permettre à des émigrés romains de débarquer dans l’île, malgré le passeport anglais dont les avait munis la complaisance excentrique du consul de sa majesté britannique à Rome. Lord John Russell, approuvant la conduite du gouverneur, répond à M. Hume : « Vous n’êtes pas probablement sans connaître qu’il a existé, l’année dernière, une troupe ambulante de révolutionnistes qui a fait son apparition tantôt à Paris, tantôt à Berlin, tantôt en Bade, et qui avait plus particulièrement encore rassemblé ses forces dans Rome. Posséder une bande nombreuse de cette association révolutionnaire, ce n’est rien à Londres ; mais c’est chose incompatible avec la paix et le bon gouvernement de Malte. » Où trouver en Europe une seconde capitale qui puisse braver les mêmes fréquentations avec la même indifférence ?

Ce n’est pas cependant que les élémens de trouble y manquassent tout-à-fait, si l’on réussissait jamais à les soulever. Il y a là des masses ignorantes et souffrantes qui sont une proie toujours prête pour la propagande démagogique, comme il est derrière les palais les plus somptueux des égouts, des cloaques et des lieux de pestilence, des nuisances selon l’énergique expression anglaise, qui sont une occasion permanente pour le développement du choléra ; mais aussi contre ce double danger matériel et moral, il y a d’autre part le vigoureux bon sens, la décision pratique du peuple anglais. Une fois le mal signalé, tout le monde est debout et combat. On n’a pas oublié comment finit cette fameuse procession chartiste du 10 avril, au bout de laquelle les étroites cervelles de quelques meneurs voyaient déjà une révolution sociale. Ce fut l’affaire d’un clin d’œil. L’émeute fut étouffée en germe, parce que la population flottante du désordre vint se heurter et rompre sur cette citadelle vivante que la population de l’ordre lui avait aussitôt opposée : il n’était pas un gentleman qui n’eût tenu à honneur de s’inscrire comme constable. Le chartisme aime assez le fair play en Angleterre, ou sera toujours prêt à lui rendre sa partie. En attendant, on ne gêne même pas ses manifestations. Un chartiste est mort dernièrement du coléra dans la prison où il subissait sa peine : on lui a fait un enterrement solennel. Le convoi était précédé d’un vaste étendard tricolore sur lequel on lisait : « Joseph Williams, victime de la loi des privilégiés. Le corps reposait sur un char tendu de drap rouge. Des deux côtés était écrit « Ses soupirs demandaient la liberté, les tyrans lui ont donné la mort, » et derrière : « Ce n’est pas le choléra ; — il est mort de froid et de faim. » Les chefs de la convention chartiste ont prononcé les discours qu’ils ont voulus sur la tombe du défunt, à l’ombre de leur drapeau. On a quêté pour grossir « le fonds