Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrière pour qu’il ne nous soit pas déplaisant d’en accepter la solidarité ; l’amnistie est trop encombrée de restrictions et de piéges pour que nous puissions même honorablement, consentir à livrer ceux que nous nous sommes chargés de vaincre aux juges implacables qui se sont gardé le droit exclusif de punir. On nous dit qu’il n’y a nulle part de ces libéraux modérés que nous appelions aux travaux de j’administration publique dans l’état romain : est-ce donc le moyen de les former que d’écarter indéfiniment la sécularisation, et ne s’aperçoit-on pas que, du moment où il n’est plus permis de compter sur l’aveugle obéissance des temps anciens, on pousse les gens aux émeutes du radicalisme en leur refusant à perpétuité l’exercice des libertés régulières. On nous dit aussi que nous avons mauvaise grace à presser le pape d’élargir son amnistie, quand nous détenons encore à Belle-Isle nos transportés de juin. L’argument est curieux sous la plume qui l’emploie. Est-ce que par hasard le pape nous aurait aussi aidés à prendre nos barricades ? ou est-ce que vous regretteriez qu’on les eût prises ? ou n’êtes-vous pas plutôt des sophistes qui faites flèche de tout bois ?

Donc nous voilà maintenant d’accord avec M. de Lesseps, donc nous sommes au désespoir de l’expédition, et nous croyons, avec les adversaires qui l’ont décriée, que c’eût été d’une très noble et très habile sagesse d’envoyer nos troupes à Civita-Vecchia pour présenter à M. Mazzini les complimens admiratifs de la république française ? — De deux choses l’une : ou l’Autriche serait à présent maîtresse de Rome à la place de M. Mazzini, ou M. Mazzini, resté dictateur absolu, aurait encore à soutenir l’assaut des Autrichiens. En aucun de ces deux cas, la France n’occuperait une meilleure position qu’aujourd’hui, et son influence serait encore plus compromise pour avoir assisté l’arme au bras à la restauration du pape que pour subir aujourd’hui l’ingratitude du pape restauré. Accomplie sans nous, cette restauration était, dans la pensée européenne, accomplie contre nous ; récompensés comme nous le sommes de l’avoir faite, nous gagnons du moins qu’on se puisse point paraître nous l’avoir imposée. Telle était l’interprétation la plus directe de notre neutralité, et pour n’en pas souffrir les inconvéniens, il n’y avait presque plus qu’à la rompre en faveur de M. Mazzini, comme nous l’avons rompue en faveur de Pie IX. Nos services nous auraient-ils été mieux payés ? Lisez le dernier manifeste de M. Mazzini, vous verrez tout de suite qu’il eût été aussi intraitable à son point de vue que Pie IX au sien. Nous n’aurions gagné au change que d’avoir à lutter contre des entêtemens d’autre nature, mais non pas de moindre trempe. Le pape humanitaire est aussi convaincu de la divinité de sa mission que le Pontife catholique, et obstination pour obstination, nous aimons encore mieux celle du droit divin traditionnel que celle du droit divin révolutionnaire. Nous ne faisons point assez au goût des ultras de la théocratie, qui vont sans nous et nous laissent réclamer en vain ; nous n’aurions jamais fait assez au goût du fanatisme de la démagogie, et celle-ci ne se serait point bornée à ne pas prendre nos conseils ; elle nous aurait précipités à la remorque des siens, sauf à nous briser dans ses emportemens. Le vrai mot de la situation, c’est que l’affaire de Rome était une mauvaise affaire par quelque endroit que ce fût, qu’on s’en mêlât ou qu’on ne s’en mêlât pas. Elle était un de ces cadeaux que nous ont légués les hommes de février, pour attirer la France sur leurs pas et dans leurs sentiers. Comme on sait bien