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t-il en promenant autour de lui un œil inquiet. Qu’entendez-vous par là ? Dans quel abîme m’avez-vous poussé ? Les chouans se remuent-ils ? Est-il question d’attaquer la Trélade ? Je croyais que le vicomte, en se ralliant au trône de juillet, avait mis fin aux discordes civiles.

— Dites, monsieur, parlez, reprit Jolibois ne se possédant plus. Rien n’est-il fait ? rien n’est-il conclu ? Ne me laissez pas dans cette horrible incertitude ; prenez pitié de mes angoisses.

— Avez-vous juré de me rendre fou ? s’écria M. Levrault, qui, en observant les traits bouleversés du tabellion, sentait redoubler sa terreur. A qui en avez-vous ? qu’y a-t-il ? que se passe-t-il ? Comment prendrai-je pitié de vos angoisses, si vous ne commencez par prendre pitié des miennes ? Si vous ne me dites rien, que voulez-vous que je vous dise ?

— C’est juste, repartit Jolibois en se frappant le front. La tête n’y est plus ; on la perdrait à moins. Pardonnez, monsieur, au trouble qui m’agite. Je viens de Nantes. Pour vous sauver, s’il en est encore temps, j’ai fait huit lieues en cinq quarts d’heure. Mon cheval est tombé de fatigue à la grille de votre château : je doute qu’il se relève. Noble animal ! au train dont il allait, il semblait deviner qu’il s’agissait de votre salut, de celui de votre aimable fille.

— Au fait, Jolibois, au fait ! Vous me tenez sur des charbons ardens. J’ai dix chevaux dans mes écuries : si le vôtre ne se relève pas, on le remplacera. On ne perd jamais rien à servir les Levrault. Expliquez-vous. Soyez clair, soyez bref. De quel danger sommes-nous menacés ?

— Dans un instant, monsieur, dans un instant. Que je sache d’abord si j’arrive assez tôt pour vous tirer du gouffre où je vous ai plongé. Le contrat est signé. Qui m’eût dit, hélas ! qu’un autre que Jolibois ?… Je me tais, j’ai perdu jusqu’au droit de me plaindre. Le contrat est signé ; mais il ne peut avoir de valeur qu’après la célébration du mariage. Eh bien ! ajouta Jolibois d’une voix hésitante, en attachant sur M. Levrault un regard où se révélait toute l’anxiété de son ame ; eh bien ! monsieur, tout est-il fini ? Le destin a-t-il prononcé ? Sommes-nous aux prises avec l’irréparable ? Suis-je condamné à traîner avec moi un remords éternel ? Répondez, dût votre réponse me frapper comme un coup de foudre : le mariage est-il célébré ?

— Quel mariage ? demanda M. Levrault de l’air d’un homme qui, au lieu d’un pavé qu’il s’attendait à recevoir, sent un bulle de savon s’abattre et crever sur son nez.

— Mais, monsieur, répondit Jolibois non sans quelque surprise, le seul mariage dont il soit question à cette heure dans toute la Bretagne, celui de votre fille et du vicomte Gaspard de Montflanquin.

Après ce qui s’était passé la veille, dans la position délicate où se trouvait M. Levrault vis-à-vis du vicomte, les dernières paroles de