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lui apprit à modérer l’extrême facilité de sa voix aussi étendue qu’éclatante ; il orna sa mémoire d’une foule de gorgheggi les uns plus compliqués que les autres, et lui communiqua aussi, malheureusement, son goût trop exclusif pour les pompes et le clinquant de la vocalisation italienne. Pendant que la jeune Angelica se préparait ainsi à conquérir la brillante renommée qu’elle devait posséder un jour, elle eut occasion d’entendre à Florence une cantatrice célèbre qui pourrait bien avoir été la Gabrielli, et qui produisit sur elle une sensation profonde. Emerveillée de la voix et du talent de la virtuose, Angelica fondit en larmes et s’écria avec une naïveté charmante : « Mon Dieu, mon Dieu je ne pourrai jamais atteindre à une telle perfection ! » La cantatrice a la mode voulut voir la jeune fille qui lui avait adressé un compliment aussi flatteur, et, après l’avoir fait chanter devant elle, elle lui dit en l’embrassant avec tendresse : « Rassurez-vous, mon enfant ; dans quelques années, vous m’aurez surpassée, et ce sera à mon tour de pleurer à vos succès. »

Mlle Catalani débuta sur le théâtre de la Fenice, à Venise, en 1795, dans un opéra de Nicolini. Elle était âgée de seize ans. Une taille élevée et bien prise, de belles épaules blanches comme l’albâtre, un cou de cygne, de grands yeux bleus, doux, limpides, pietosi, e a mover parchi… des traits nobles et charmans, faisaient de la jeune cantatrice une personne ravissante. Dans ce corps tout resplendissant de jeunesse et de beauté, la nature avait placé un des plus admirables instrumens qui aient jamais existé. C’était une voix de soprano d’une étendue de presque trois octaves allant depuis le la au-dessous de la portée jusqu’au fa sur-aigu. Cet immense cl²vier était d’une égalité parfaite et d’une flexibilité incomparable. On conçoit qu’avec de tels avantages Mlle Catalani n’ait pas eu de peine à conquérir les sympathies d’un public italien ; aussi son succès à Venise fut-il éclatant et spontané. Entourée de sa famille et de son maître, Marchesi, qui voulut encourager ses premiers pas dans la carrière, Angelica fut accueillie avec transport, et sa réputation se répandit comme un éclair dans toute l’Europe.

Toutes les biographies de Mme Catalani qu’il nous a été donné de consulter affirment qu’après ses débuts (les uns disent à Venise, les autres à Milan) la jeune cantatrice parcourut triomphalement les principales ville de l’Italie, et que c’est après une pérégrination de plusieurs années qu’elle fut engagée au théâtre italien de Lisbonne, où elle se rendit en 1801. D’un autre côté, M Catalani a toujours dit à ses enfans qu’elle était à peine âgée de dix-sept ans lorsqu’elle arriva à la cour de Portugal ; or, étant née en 1779, ce serait donc en 1796 qu’elle aurait quitté l’Italie, c’est-à-dire presque immédiatement après son apparition sur le théâtre de la Fenice, à Venise. Cette dernière version nous parait d’autant plus vraisemblable que MIle Catalani fut d’abord attachée à la chapelle du prince régent, grand amateur de musique, comme l’a toujours été la maison de Bragance depuis son illustre fondateur jusqu’à l’empereur dom Pedro. Ce qui aura décidé M. Catalani à conduire sa fille Angelica loin du pays qui l’a vue naître et à la soustraire promptement à la gloire bruyante et dangereuse de la carrière dramatique, ce sont probablement des scrupules de piété et des sentimens de délicatesse dont cet homme honorable a toujours été pénétré. Il n’est impossible non plus que la gaucherie pleine de grace et l’extrême timidité qui ont toujours empêché Mme Catalani de réussir complètement