Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les premières notions de l’art musical. Un couvent italien, à la fin du XVIIIe siècle n’était guère autre chose qu’une espèce de conservatoire où la prière, la musique et l’amour étaient l’unique occupation ; comme l’a dit un théologien aimable, pregare, amare e cantare, sont trois mots différens exprimant un seul et même désir. Aussi on chantait beaucoup dans le couvent de Sainte-Lucie. Tous les dimanches et les jours de grande fête, les religieuses et les novices faisaient résonner de leurs pieux cantiques les voûtes de la chapelle. Au milieu de ces voix fraîches et virginales, on remarqua bientôt celle d’Angelica Catalani, dont le timbre, l’étendue et la flexibilité faisaient déjà l’admiration de ses compagnes. Les religieuses, voulant mettre à profit de si rares facultés, lui firent chanter de petits solos qui attirèrent un grand concours d’adorateurs à leur patronne sainte Lucie. — Allons entendre la maravigliosa Angelica, se disait-on dans le pays les jours de grande solennité, et la foule venait assiéger les portes de la chapelle, où, comme en paradis, il y avait plus d’appelés que d’élus. Les succès un peu profanes qu’obtenait Angelica finirent par scandaliser les ames dévotes, et l’évêque ordonna à la supérieure de mettre la lumière sous le boisseau en supprimant les solos de la jeune novice. Assurément cet évêque-là n’aimait pas la musique ; il eût été digne de faire partie de ce groupe d’esprits moroses qui, au fond de la thébaïde de Port-Royal-des-Champs, semblaient demander pardon à Dieu d’être venus au monde, et qui ont essayé d’étouffer la gloire et la magnificence du siècle de Louis XIV sous le cilice de Pascal. Fort heureusement la supérieure du couvent de Sainte-Lucie de Gubbio ne partageait pas les principes rigoureux de la mère Angélique d’Andilly, et, plus intelligente que l’évêque de qui relevait son institution, elle ne voulut pas se priver d’un élément de succès qui profitait aussi bien aux pauvres qu’à la vraie piété. Usant d’un subterfuge très innocent, elle plaça Angelica Catalani derrière un groupe de novices. Ces jeunes filles dérobaient ainsi leur compagne aux regards des curieux, et tempéraient la sonorité de cette voix, qui devait un jour émerveiller l’Europe. Les fidèles ne se laissaient cependant pas arrêter par cet obstacle, ils se levaient sur la plante des pieds pour découvrir le visage de la jeune fille qui les charmait. L’émotion alla même jusqu’à l’enthousiasme un jour de grande fête où la charmante Angelica, revêtue d’une robe aussi blanche que son ame, chanta un Ave Maria stella qui attendrit tous les cœurs. Chacun voulut voir et chacun voulut embrasser la virginella que Dieu avait si richement douée.

Mlle Catalani resta dans le couvent de Gubbio jusqu’à l’âge de quatorze ans. Son père, malgré les vives instances qu’on lui adressait de toutes parts, ne pouvait se décider à tourner le talent d’Angelica vers un but profane. Sa grande piété et les fonctions dont il était revêtu ne lui faisaient envisager qu’avec une extrême répugnance tout ce qui se rattachait aux choses de théâtre. Enfin, vaincu par les larmes d’Angelica et par les vives instances de toute sa famille M. Catatalani consentit à envoyer sa fille à Florence pour y prendre des leçons de Marchesi, qui était alors l’un des plus célèbres sopranistes de l’Italie.

Marchesi était bien le maître qu’il fallait pour diriger Angelica Catalani et la préparer à ses glorieuses destinées. Doué d’un physique charmant et d’une voix de mezzo-soprano forte et prodigieusement facile, ce chanteur se distinguait surtout par l’éclat et la magnificence de la vocalisation. Né à Milan en