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mais elle est aussi rusée. Elle partira munie d’instrumens tranchans aussi bien que de vêtemens somptueux, car, sa toilette est à peine finie que le mensonge lui tend la balance de la justice, et la ruse l’épée de la loi. La folie tient le cheval tout prêt. Bref, ainsi costumé, le compagnon a la tournure d’un parfait gentleman. Il va faire sa première entrée dans le monde ; partons donc sans retard, passons par-dessus les croix renversées, les couronnes brisées, les tombeaux et les ruines, pour aller là-bas, à cette autre ruine, où vous apercevez une femme assise et enchaînée, les yeux bandés, dans une salle dont les pierres se détachent et dont le plancher est effondré. L’édifice est miné ; cette destruction sera pour le coup d’essai du compagnon une facile victoire. Le voilà en rase campagne qui se dirige vers la grande ville ; son cheval va bon train ; les villageois l’évitent, et les corbeaux eux-mêmes s’enfuient en criant de terreur. – Lui, cependant, sans s’émouvoir, fume son cigare, car l’ami du peuple a des notions d’élégance et de vie mondaine. Le faucheur est un véritable dilettante ; vous l’avez rencontré cent fois au café de Paris, au foyer de l’Opéra, aux Italiens, à Bade et à Spa. Le cœur lui bondit en apercevant la grande ville ; il se dresse avec un frémissement de joie sur ses étriers en apercevant Paris, la cité du plaisir et des révolutions, deux choses par lesquelles elle m’appartient, semble-t-il dire, deux choses dont, en ma qualité de métaphysicien, j’ai démontré dans ces derniers temps l’identité par mes créations de femme libre, mes inventions de phalanstère et de bonheur commun. Corruption et destruction, n’êtes-vous pas synonymes ? J’ai vu peu de choses aussi belles, dans ces derniers temps, que cette gravure où la mort est représentée en route pour Paris. Les premiers rayons du jour éclairent la scène. La ville élève dans le lointain le sommet de ses tours et de ses dômes. Hommes et animaux s’enfuient. Jamais personnage plus original que ce faucheur n’a été dessiné. N’y cherchez rien de terrible ni de grotesque non plus. Tout est nouveau dans ce personnage : l’allure, le costume. N’y cherchez pas l’ange des expiations qui étend ses noires ailes sur les cités, ni la mort brutale que vous connaissez depuis long-temps. Non ; aussi inattendue que le fléau dévastateur, elle arrive on ne sait d’où, ni pour quel but. Elle est revêtue d’un costume qui la fait singulièrement ressembler à un spadassin. Pourquoi vient-elle ? On ne le sait pas ; par caprice, oisiveté, ennui. Ce personnage me semble un des meilleurs, des mieux saisis que l’on ait inventés depuis Méphistophélès.

Le faucheur s’arrête aux barrières et entre dans un cabaret afin de se remettre de ses fatigues. Là survient tout le monde bizarre qui s’y réunit : les enfans étiolés par la corruption hâtive, les filles de bas étage, les joueurs d’orgue et les chanteurs patriotiques, tous les bohémiens de la civilisation. La mort ouvre aussitôt un cours de politique