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temps ? Vivons-nous réellement ? Pour nous, cela est douteux. Nous ne sacrifions guère notre existence, nous ne nous assassinons plus si je puis m’exprimer ainsi, nous ne nous tuons pas comme Caton : si nous nous donnons la mort, ce n’est pas par dévouement pour nos idées et nos croyances ; mais nous escroquons notre vie, comme nous l’avons déjà dit, nous la laissons chaque jour s’affaiblir et diminuer lentement, comme une eau qui filtre à travers un tamis. Nous la laissons volontairement se perdre et se tarir ; nous ne savons plus que la vie est une lutte, et qu’elle demande une concentration de force énergique et de tous les instans. Le mot des anciens, indulgere genio, semble être devenu notre devise habituelle. La vie n’est plus, pour nous, que le sommeil et la fièvre : l’un est le frère de la mort, disent les poètes, l’autre, disent les physiologistes, mène tout droit à la mort. Au point de vue politique, est-ce que les révolutionnaires et les socialistes ne partagent pas l’opinion des païens sur la mort ?

Partout où ils aperçoivent le mouvement, ils proclament que là est la vie. C’est en cela que consiste, à proprement parler, l’opinion des païens sur la mort et la vie ; la vie pour eux était surtout l’activité, la mort n’était que la cessation de cette activité et de ces jouissances. Ils ne savent plus que la véritable activité est latente, qu’elle ne se manifeste pas avec fracas, et que la vie la meilleure est la plus calme, la moins remplie de tempête. Ils confondent sans cesse l’activité avec l’agitation. Les révolutions leur apparaissent comme le réveil de la vie trop long-temps engourdie, tandis qu’elles ne sont que la précipitation violente et hâtive de la vie, l’acheminement vers la mort. Telle est l’idée qui domine dans les gravures de M. Rethel. Il a peint la mort dans la vie moderne, la mort dans les ames contemporaine par corruption la mort par l’activité fébrile de l’esprit révolutionnaire. La mort est sortie de son crayon spiritualisée. Regardons nous-même dans les gravures de M. Alfred Rethel, le tableau du dernier voyage qu’elle a accompli. « Regardez, comme dit le prologue poétique placé en tête du cahier qui est sous nos yeux ; regardez, je vais vous montrer la sombre image d’une sombre époque. ».

Arrière, passé, arrière ! Les peuples poussent un cri, et voilà que la mort sort de terre pour exaucer leurs vœux. Le néant arrive pour anéantir le néant, l’écho du passé répète les dernières syllabes de l’anathème lancé au passé. Alors les éternelles passions se pressent autour du faucheur. Leurs pieds de harpies indiquent des divinités malfaisantes. La vanité, vêtue d’une robe émaillée d’yeux de paon, présente un miroir au compagnon, et, le sourire sur les lèvres, place sur son crâne chauve un chapeau orné de plumes. Il n’ira pas vers les hommes nu et sans déguisement ; non, non, la mort elle-même, aujourd’hui, ne dit plus la vérité ; elle ment, elle trompe, elle est toujours brutale,