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Méphistophélès est un républicain de la veille, un pur radical. Hier encore, il errait dans les sombres réglons de l’obscurité sociale ; aujourd’hui, il s’est refait une garderobe avec les défroques abandonnées par la royauté. Il peut se travestir ; seulement, les travestissemens sont grotesques ; il ne peut prendre que les costumes de Polichinelle et d’Arlequin. Bref, Méphistophélès ressemble à bien des personnages célèbres dans ces dernières années. Il est méchant, sot, ridicule, grotesque et trivial. Il est méchant, mais sans puissance ; il n’est pas redoutable, mais il est ennuyeux ; il trouble les plus belles fêtes, il s’assied comme un fâcheux importun au banquet du 22 février, et crie vive la réforme ! plus fort qu’il ne lui a été commande, enfin, le diable de 1849 signifie méchanceté sans malice et fourberie sans esprit.

Mais les régions à demi fantastiques hantées par les mandragores ne sont pas les seules que la révolution de février ait découvertes ; il y a aussi les régions de la mort et du néant. Nous ne descendrons pas les cercles de Dante, nous n’entrerons pas dans la cité dolente de l’enfer, nous n’avons pas besoin de changer de place. Encore un spectacle dans un fauteuil ! C’est maintenant le néant qui monte jusqu’à nous. Les flots de la vie ne vont plus se mêler aux ondes de l’oubli ; c’est l’océan de l’oubli même qui vient absorber dans son sein toutes les eaux babillardes et charmantes dont se compose la vie. Disons-le tout de suite, c’est dans cette idée que consiste la profondeur singulière des gravures de M. Rethel. On éprouve, en les contemplant, une impression bien différente de celle que nous font éprouver Holbein et Orcagna, les grands peintres de la mort. La mort, dans ces gravures, n’est plus considérée comme étant la fin inévitable, de la vie, nous ne trouvons pas là le hideux squelette que nous connaissions ; la tombe ne s’entr’ouvre plus sous la danse des humains. Non, c’est maintenant la mort qui vient elle-même dans le monde des vivans, comme s’il était son royaume naturel. Elle ne vient plus, comme autrefois, épier les hommes derrière, une muraille ou au coin d’une borne pour faire son métier d’assassin : non ; aujourd’hui, elle s’est civilisée, elle ne tue plus les hommes, elle se contente d’escroquer leur vie ; elle cause avec vous, fume avec vous, rit avec vous ; elle vous dirait presque comme le diable amoureux de Cazotte : « Dis-moi ; je t’en prie, si tu veux me prouver ton amour ; dis-moi : Cher Béelzébuth, je t’adore. » Ce n’est pas l’affreuse mort sans vêtemens d’Orcagna, d’Holbein et de Shakspeare ; non certes : elle est somptueusement vêtue, elle est pleine de coquetterie, elle a ses poses préférées, ses airs de tête chéris ; bref, si elle n’a pas la vie, elle sait au moins se donner toutes les apparence de l’existence ; elle a bien toutes les grimaces, toutes les simagrées de la vie artificielle.

Et d’abord n’est-ce pas là le caractère de la mort morale dans notre